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est à mes yeux une broderie du plus grand prix, ton sur ton, sobre, mais si délicate !

Je me suis arrêtée dans la forêt de bans pour faire une petite aquarelle. De grandes palmes jaillies du sol à ma droite montent d’abord verticalement, puis s’inclinent très haut au-dessus de ma tête pour franchir le chemin. Mais les palmes qui sont à ma gauche leur rendent leur visite. Ce ne sont que salutations de personnes très distinguées.

Dans une partie de notre trajet règne un parfum très agréable et je crois m’apercevoir qu’il s’accroît de densité quand mon hamac frôle certains arbustes. Ghibi s’informe du fait, de ma part, auprès du tirailleur interprète et celui-ci soumet aux porteurs mon hypothèse. Mais je n’obtiens pas d’explication. Ils feignent de ne pas savoir. Le tirailleur ne peut être expert en parfums, car celui du banghi, qu’il dégage d’ailleurs, lui suffit. Quant aux hamacaires, ils s’alarment évidemment de ma curiosité intempestive. Si j’allais encore me laisser charmer par l’arbuste odorant comme par les feuilles de ban et oublier l’heure de l’étape ?

Ghibi seul s’émeut profondément de mon cas et il n’est plus de nouveau feuillage au bord de la route qu’il m’interroge d’un œil sévère pour lui arracher bientôt son secret et, d’abord, deux feuilles, m’en donnant une à flairer, puis respirant lui-même l’autre, longuement, d’un air soupçonneux.

Et puis voilà les gens de Zoborouma ! Le chef de village affable, une courte suite, des musiciens et un groupe d’hommes presque nus destinés à relayer bénévolement mes porteurs.

Il va être bien difficile aux musiciens de se servir de leurs instruments car voici que les porteurs de relai, magnifiques musculairement, s’emparent d’assaut, sans me prévenir, de mes bagages et de mon hamac avec ma personne et les emportent à toute vitesse. Cela ressemble à une agression, mais où mes hommes, mes défenseurs, n’ont pas eu un rôle brillant. Ils se sont laissés déposséder sans peine et je les vois distancés quand je me retourne, se perdre à l’arrière, tandis que le chef et les musiciens se lancent à notre poursuite. Mes

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