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je ne voulois pas avoir à me reprocher de lui avoir fait dépenſer un fol pour l’amour de moi.

Mon argent fut rendu fidelement à Montigré, d’abord qu’il eût écrit une Lettre à ſon ami. Montigré ne s’attendoit pas à le ravoir ſi-tôt, & peut-être même à le ravoir jamais. Il ſavoit combien il étoit rare de recevoir des Lettres de change de mon païs, & ſur tout à un pauvre Gentilhomme tel que j’étois. Richard, c’eſt le nom de l’homme qui me rendit ce ſervice, avoit prié ſon ami de lui renvoyer le billet que j’avois fait à Montigré. Il me le remit entre les mains pour marque qu’il avoit eu ſoin d’executer ce dont je l’Tavois prié. Je le remerciai de la peine qu’il en avoit bien voulu prendre, quoi que je ne fuſſe pas à le faire, & que je m’en fuſſe acquitté dès le moment que je lui avois fait cette priere. Je mis ce billet dans ma poche, au lieu de le déchirer comme je devois, & l’ayant perdu ou le même jour ou le lendemain, en tirant peut-être mon mouchoir, ou en prenant autre choſe, je ne m’aperçus de ſa perte que deux ou trois jours après. Je le dis à Richard qui me blâma du peu de ſoin que j’en avois eu, & comme il vit que cela m’inquiétoit, comme ſi j’euſſe prévû ce qui m’en devoit arriver un jour, il tâcha de m’en conſoler. Il me dit que quand même quelqu’un le trouveroit, il ne m’en pouvoit arriver d’accident, que premierement je n’étois pas en âge pour faire un billet, & que ſecondement étant ſous le nom de Montigré, il n’y avoit point de friponnerie à faire là-deſſus, à moins qu’il n’en fut de moitié avec quelqu’un, que j’avois dû reconnoître au procédé qu’il avoit tenu avec moi qu’il étoit honnête homme, mais que s’il avoit encore beſoin, avec cela d’une caution pour me le certifier, il lui en ſerviroit en tout tems, & en tout lieu, quoi qu’il ne s’en reconnût pas capable.

Cette derniere raiſon me toucha plus que la premiere, à laquelle j’avois mis obſtacle moi-même par un excès de délicateſſe. Comme il ſavoit auſſi bien