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ſon écuyer. Cependant la parenté de ce domeſtique ne lui ſervant de rien, pour adoucir ſon reſſentiment, il fut obligé de lui obéïr à l’heure même, ſans avoir pû obtenir ſeulement permiſſion de les revoir ni l’un ni l’autre.

Mr. de Treville s’en étant retourné chez lui, bien content de ſa viſite, nous y dînâmes Athos, Porthos, Aramis, & moi, ainſi qu’il nous en avoit prié dès la veille. Comme il y avoit auſſi fort bonne compagnie, & que nous étions dix-huit à table, on ne s’y entretint preſque d’autre choſe que de mes deux combats. Il n’y eut perſonne qui ne m’en donnât beaucoup de gloire, ce qui n’étoit que trop capable de tenter un jeune homme, qui avoit déjà de lui-même aſſez de vanité pour croire qu’il valoit quelque choſe. Quand nous eûmes dîné, on ſe mit à joüer au lanſquenet : les mains me demangeoient aſſez pour faire comme les autres, ſi j’euſſe eu le gouſſet auſſi bien garni que j’euſſe voulu ; mais mes Parens m’ayant entr’autres remontrances fait celle-là avant que de partir, que j’euſſe à fuïr le jeu comme un écueil, qui perdoit la plûpart de la jeuneſſe, je me tins ſi bien en garde, non ſeulement cette fois-là, contre ma propre inclination, mais encore dans toutes les autres rencontres, où la même demangeaiſon me prenoit, que quelque tentation que je reccuſſe, je ne m’y laiſſai ſuccomber que de bonne ſorte.

L’après-dînée s’étant paſſée de cette maniere, c’eſt-à-dire les uns en joüant, & les autres voyant joüer, nous nous en fûmes au Louvre ſur le ſoir, Athos, Porthos, & Aramis & moi. Le Roi n’étoit point encore revenu de la chaſſe, mais comme il ne pouvoit guéres tarder à venir, nous demeurâmes dans ſon Antichambre, où Mr. de Treville qui étoit monté en caroſſe l’après-dînée nous avoit dit, qu’il nous viendroit prendre pour nous mener dans le Cabinet du Roi. Sa Majeſté vint un moment après que nous fûmes là, & ſes trois Freres qui