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que le prétexte que j’avois d’aller chez elle étoit ſi plauſible, que cette femme m’y pouvoit bien ſouffrir ſans être de moitié de ſa fourberie ; mais ſi elle n’en étoit pas encore avertie en ce tems-là, elle le fut du moins bien-tôt après, puis qu’elle me permit non-ſeulement de retourner voir ſa fille, mais encore de lui conter des fleurettes. Elle les reçût de la meilleure grace du monde, & comme ſi elle y eut été très-ſenſible. Cela me fit d’autant plus de plaiſir, que j’en devenois de moment à autre amoureux de plus en plus. Cependant un jour que j’y allois, je rencontrai à cent pas de ſa maiſon un garde de Mr. le Cardinal, qui me dit que je ne mettois pas mal mes affections, que ma maîtreſſe en valoit bien la peine, & qu’il la connoiſſoit aſſez pour m’en répondre. Je fis ſemblant de ne pas entendre ce qu’il me vouloit dire par-là. Je lui en demandai l’explication, & il me dit auſſi-tôt que c’étoit inutilement que je voulois faire le fin avec lui ; qu’il me voyoit entrer & ſortir journellement de chez la couturiere, & que même je n’y pouvois guéres mettre le pied ſans qu’il ne s’en aperçût, qu’il demeuroit au deſſous d’elle, & que j’étois bien privilegié de la voir quand bon me ſembloit, puiſqu’il n’en avoit jamais pû venir à bout, quoi qu’il y eut fait tout ſon poſſible.

Comme je vis qu’il me parloit ainſi d’original, je ne voulus pas lui inſiſter davantage. Je tombai d’accord du fait avec lui, & lui ayant demandé ſi cette fille étoit auſſi vertueuſe qu’on me l’avoit dit, il me répondit en riant que c’étoit à lui plutôt qu’à moi à me faire cette demande, parce que depuis le tems que je la voyois, j’en pouvois rendre compte mieux que perſonne. Je lui repartis que la connoiſſance que nous avions faite enſemble n’étoit pas ſi ancienne qu’il croyoit, que je ne l’avois vûë encore que cinq ou ſix fois, tellement qu’il en devoit ſavoir plus de nouvelles que moy, lui qui demeuroit dans ſa maiſon. Il m’en confirma tout le bien que j’en