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demandé ſi c’étoit avec une épée ou un poignard, qu’il faloit marcher à cette expédition ou avec quelque arme à feu, je lui fis réponſe que le poignard étoit plus ſeur que tout le reſte ; que la raiſon qu’il y en avoit c’eſt que le coup fait, on le pourroit laiſſer tomber, afin qu’en cas qu’on vint à être pourſuivi & foüillé le ſoupçon ne tombât pas ſur lui.

Deux ou trois de ſes camarades qui avoient fait la débauche toute la journée avec lui, & qui n’étoient capables d’aucun raiſonnement m’entendant parler de la ſorte, trouverent non ſeulement que j’avois raiſon, mais l’encouragerent encore dans ſon entrepriſe. Il ne paroiſſoit pas en avoir de beſoin, du moins ſi l’on vouloit ajoûter foi à ſes paroles ; quoi qu’il en ſoit, voulant s’en venir à l’heure-même avec moi, pour commettre au plutôt cet homicide, je crus que je ne le devois pas ſouffrir, parce qu’il ſe pouvoit faire que ce projet ne fut que l’effet des fumées, que le vin lui envoioit au cerveau. Ainſi je voulois remettre la partie au lendemain, & je l’obligeai malgré lui de s’en contenter. Il me donna rendez-vous à un cabaret aſſez proche du Palais Royal, où il me fit jurer que je me trouverois entre ſept ou huit heures du matin. Je le lui promis, ſans faire trop de réfléxion que je n’aurois guéres d’honneur à le faire tomber dans le panneau que je lui préparois ; ainſi y ayant penſé après l’avoir quitté, j’étois réſolu de lui manquer de parole, quand un de mes amis à qui j’en parlai me dit qu’en conſcience je devois pourſuivre ma pointe, parce qu’il y alloit du ſalut de l’Etat, que j’empêcherois par là le deſordre qui y arriveroit infailliblement s’il venoit tôt ou tard à en aſſaſſiner le Miniſtre ; qu’enfin je ne devois pas m’en faire le moindre ſcrupule, parce que d’avoir cette malheureuſe penſée, ou contre le Roi même ou contre celui à qui il laiſſoit le ſoin de ſes affaires, étoit preſque la même choſe.

Je ne me contentai pas ſi bien de ce Caſuiſte que