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pis, il fut dire à la Reine qu’à moins que la nuit ne portât conſeil à cette populace, il ne ſaroit pas comment on la feroit rentrer dans le devoir.

J’étois au dedans de la premiere baricade, lors que cela arriva, & aiant paſſé plus avant après y avoir bû trois ou quatre coups, en dépit de moi, je vis des eſprits ſi turbulens par tout où j’adraiſſai mes pas, que j’eus horreur de quantité de choſes que j’entendis dire contre le Gouvernement preſent, & particulierement contre la perſonne du Cardinal. Il y en eut un même qui dit de ſi grandes ſottiſes, que je crus ne pas devoir le lui pardonner. Cependant comme il étoit dangereux de lui faire paroître la méchante volonté que j’avois contre lui, je feignis non ſeulement d’entrer dans ſon ſentiment, mais encore de paſſer plus loin. Je lui dis qu’il ne pourroit mieux témoigner le zéle qu’il avoit pour le bien public qu’en faiſant paroître la haine qu’il avoit pour ce Miniſtre ; que ce n’étoit rien pourtant à moins de joindre l’effet à la volonté, que je ſavois le ſecret de lui faire ſentir le mal qu’il lui deſiroit, & que s’il vouloit en partager le peril avec moi, il en partageroit auſſi toute la gloire. Je diſois cela non ſeulement pour le remettre entre les mains du Cardinal, mais encore pour voir s’il étoit capable, comme il s’en ventoit, de tüer un jour ſon Eminence. Je reconnus bien-tôt à ſa réponſe qu’il étoit tout auſſi dangereux qu’il vouloit qu’on le crut ; car il me dit à l’heure-même qu’il étoit prêt non ſeulement de partager avec moi le peril, dont je lui parlois ; mais encore de le courre tout ſeul, ſi je ne voulois pas être de la partie. Je feignis plus que jamais de n’être pas moins animé que lui contre ce Miniſtre, & ſur ce qu’il me preſſoit extrémement de lui dire comment ſe pouvoit executer le coup que je lui propoſois : je lui répondis que je ſavois un endroit par où le Cardinal paſſoit tout ſeul, lors qu’il alloit au Conſeil, où on lui pourroit donner ſon fait. Il fut ſi ſimple que de me croire, & m’ayant