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vant qu’il y put aller le boucon qu’avoit pris l’autre le faiſant tomber en langueur, il n’oſa lui en parler, parce que le bruit couroit dans le monde qu’il n’étoit malade que de chagrin. Il eut peur de renouveller ſa playe, principalement, parce qu’il panchoit plutôt à croire ſa fille coupable qu’innocente.

Le mal de ce pauvre homme augmenta cependant tous les jours, & ſon beau-pere qui l’avoit toûjours trouvé de moment à autre en plus mauvais état, comme il étoit impoſſible qu’il fut autrement, après ce qu’il avoit pris craignant que ſa vûë ne lui fut deſagréable, partit après lui avoir ſouhaité une promte guériſon. Il étoit bien éloigné de l’eſperer de la maniere que les choſes ſe paſſoient, ainſi ſe voyant décliner à chaque moment, ſon Confeſſeur lui demanda s’il ne pardonnoit pas à ſa femme. Car il lui avoit dit à confeſſe de quoi il la ſoupçonnoit, & que c’étoit ce qui le faiſoit mourir. Il ne lui répondit ni oüï ni non, ce qui obligeant le Confeſſeur de lui réïterer la même demande, juſqu’à quatre fois, il lui fit à ce coup-là une réponſe toute pareille à celle qu’un Amiral de France fit un jour au ſien ſur une choſe aſſez ſemblable à celle-là. Cet Amiral n’avoit qu’une fille unique à qui un Gentilhomme qu’il avoit, avoit fait un enfant. L’engroſſeur s’en étoit enfui en Angleterre après ſon coup ; non-ſeulement pour éviter la batonnade qui ne lui pouvoit manquer après cela, mais encore la pendaiſon qui eſt inévitable dans ces ſortes de rencontres, ou tout du moins d’avoir le col coupé. Auſſi l’Amiral l’y avoit déjà fait condamner quand il tomba malade dangereuſement. Le Confeſſeur ne lui cacha pas l’état où il étoit, & comme il étoit gagné par les amis du Gentilhomme, il demanda à ſon penitent s’il vouloit porter ſa vengeance juſques en l’autre monde ; que Dieu vouloit qu’il pardonnât, & que s’il ne pardonnoit il ne voudroit pas être à ſa place. L’Amiral lui répondit qu’il lui demandoit là une choſe bien difficile, mais que puiſqu’on ne pouvoit