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core que par ſa bouche, me dit que j’étois encore trop jeune pour y entrer, & que devant que j’y puſſe prétendre, il falloit que je portaſſe encore le mouſquet dans les gardes pour moins deux ou trois ans. C’étoit me faire acheter bien cher une place comme celle-là, d’autant plus que la coûtume étoit alors que quand on l’y avoit porté dix-huit mois, ou deux ans tout au plus, le Roi donnoit quelque enſeigne dans un vieux corps, & même permettoit quelquefois ſi l’on étoit en état de le faire, d’y acheter une compagnie, ou dans quelqu’autre Regiment s’il y en avoit quelqu’une à acheter. Car il ne s’opoſoit pas ſouvent que ceux qui en avoient les vendiſſent, ſur tout quand ils avoient vieilli dans le métier, & que ce leur étoit comme une eſpece de récompenſe de leurs ſervices. Avant que Mr. de Fabert fut devenu ce qu’il étoit preſentement, il en avoit ainſi traité d’une, & il ſe tenoit d’autant plus aſſuré de l’agrément qu’il avoit ſervi beaucoup au delà du tems requis dans les gardes. Loüis XIII avoit même dit à celui qui l’avoit à vendre, que pourvû que celui qui ſe preſenteroit pour l’acheter y eut été ſeulement dix-huit mois, il pouvoit compter qu’il l’agréeroit ſur le champ. Mais Mr. de Fabert étoit tellement dénué de ce qui s’apelle bonne mine, que le Roi ne l’avoit pas plûtôt vû qu’il avoit dit à celui qui ſe vouloit défaire de ſa compagnie, qu’il eut à la garder, s’il n’avoit point d’autre marchand en main pour l’acheter. Voilà quel avoit été le début d’un homme, que nous avons vû depuis Maréchal de France, & comme je le voyois déja Gouverneur d’une des meilleures places du Royaume, je me conſolai facilement du refus que Sa Majeſté me faiſoit d’une caſaque de Mouſquetaire. Je me diſois que pour avoir de ſi triſtes commencemens, la ſuite n’en ſeroit peut-être pas plus mauvaiſe. Il eſt vrai que ce qui aida encore à ma conſolation ; c’eſt que je fus, au travers des déguiſemens de Mr. de Treville, qui n’étoit