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entr’eux. Mais ce qui eſt d’aſſez étonnant, c’eſt que les maîtres ſe piquoient tous les premiers d’avoir des gens dont le courage l’emportoit par deſſus tous les autres. Il n’y avoit point de jour que le Cardinal ne vantât la bravoure de ſes Gardes, & que le Roi ne tâchât de la diminuer ; parce qu’il voyoit bien que ſon Eminence ne ſongeoit par-là, qu’à élever ſa Compagnie par deſſus la ſienne, & il eſt ſi vrai que c’étoit-là le deſſein de ce Miniſtre, qu’il avoit tout exprès dans les Provinces des gens appoſtez pour lui amener ceux qui s’y rendoient redoutables par quelques combats particuliers. Ainſi dans le tems qu’il y avoit des Edits rigoureux contre les Duels, & même qu’on avoit puni de mort quelques perſonnes de la première qualite qui s’étoient batus au préjudice de la Publication qui en avoit été faite, il leur donnoit non ſeulement azile auprès de lui, mais encore part le plus ſouvent dans ſes bonnes grâces.

Portos me demanda depuis quand j’étois arrivé, quand il ſçut qui j’étois, & à quel deſſein je venois à Paris. Je le contentai ſur ſa curioſité, & me diſant que mon nom ne lui étoit pas inconnu, & qu’il avoit ouï dire ſouvent à ſon Pere qu’il y avoit eu de braves gens de ma Maiſon, il me dit que je leur devois reſſembler, ou m’en retourner inceſſamment en nôtre païs. Le compliment que mes Parens m’avoient fait devant que de partir, me rendoit ſi chatoüilleux ſur tout ce qui regardoit le point d’honneur, que je commençai non ſeulement à la regarder entre deux yeux ; mais encore à lui demander aſſez bruſquement, pourquoi il me tenoit ce largage, que s’il doutoit de ma bravoure, je ne ferois pas long-tems ſans la lui faire voir, qu’il n’avoit qu’à deſcendre avec moi dans la ruë, & que cela feroit bien-tôt terminé. Il ſe prit à rire, m’entendant parler de la ſorte, & me dit que quoi qu’en allant vîte, on fit d’ordinaire beaucoup de chemin, je ne ſcavois pas encore qu’on ſe heurtoit auſſi le pied