Page:Courtilz de Sandras - Mémoire de Mr d’Artagnan, tome premier, 1700.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parmi les honnêtes gens, on ne faiſoit que ſe deshonorer auprès d’eux ; qu’il ne diſconvenoit pas à la verité que les bonnes graces d’une Dame ne ſerviſſent à faire briller le mérite d’un jeune homme : mais pour que cela fût, il falloit que la Dame fut d’un autre rang, que celle que je voyois ; que l’intrigue que l’on avoit avec une femme de qualité paſſoit pour galanterie, au lieu que celle que l’on avoit avec celles qui reſſembloient à ma maîtreſſe, ne paſſoit que pour débauche & pour crapule.

Je trouvai de l’injuſtice dans ce qu’il me diſoit-là, parce qu’après tout, le vice eſt toûjours vice, & qu’il n’eſt pas plus permis à une femme de qualité de faire l’amour qu’à celle de la lie du peuple : mais comme l’uſage autoriſoit ſes reproches, je m’en trouvai ſi étourdi que je n’eus pas la force de lui répondre une ſeule parole. Il prit ce tems-là pour me demander à quoi j’étois réſolu, & ſi c’étoit à quitter cette femme, ou à renoncer à ma fortune ; qu’il n’y avoit point d’autre parti à prendre pour moi, parce que ſi je ne le faiſois de bonnes graces, il ſeroit obligé d’en parler au Roi, de peur que je ne deshonoraſſent mon pays par une vie mole & indigne d’un homme de ma naiſſance ; que je ne ſçavois peut-être pas que tous ceux qui étoient mes compatriotes, & qui avoient tous oüi parler de mon attache, ſe mocquoient de moi ; que ſi j’en doutois il n’avoit rien à me dire pour m’en faire connoître la verité, ſinon qu’il falloit bien qu’il en fut quelque choſe, puiſque cela étoit parvenu juſqu’à lui.

Je fus ſi touché de ces reproches qu’il m’eſt impoſſible de l’exprimer. Je baiſſai les yeux contre terre comme un homme qui eût été pris en flagrant delit, & Mr. de Treville me croyant à demi convaincu de ma faute par la poſture que je tenois, acheva de me rendre le plus confus de tous les hommes par des traits piquans qu’il lança contre tous ceux qui menoient la même vie que j’avois menée juſques-là. Il