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ſtoles que j’avois fait, j’avois toûjours continué à carabiner dans l’Antichambre du Roi, & n’y avois pas été trop malheureux ; ainſi comme cet argent qui ne me coûtoit rien, ne me coûtoit guéres auſſi à dépenſer, j’en avois fait grand chere & bon feu, de ſorte que les rotiſſeurs & les cabaretiers s’en étoient reſſentis auſſi-bien que les plumaſſiers des Marchands d’étoffes & les Marchands de ruban. Or tandis qu’il m’avoit été permis de voir ma maîtreſſe chez elle, ce rotiſſeur avoit toûjours eu ma pratique, & même je ne la lui avois pas encore ôtée depuis, parce qu’il me ſembloit qu’il avoit de meilleure viande que les autres.

Ces garçons qui avoient oüi parler de mon intrigue avec la femme de leur voiſin, parce qu’après l’éclat qu’il avoit fait, il étoit impoſſible qu’ils n’en ſçûſſent quelque choſe, ſe douterent bien alors de ce qui m’étoit arrivé. Leur maître & leur maîtreſſe qui ne l’aimoient point, parce qu’il étoit extrêmement avare, & peu traitable avec ceux à qui il avoit affaire, me donnerent en même-tems des ſouliers avec un manteau & un chapeau. Ils m’euſſent bien donné l’habit tout complet, ſi j’euſſe eu le tems de l’endoſſer, mais comme ils craignoient que le jaloux ne me vint chercher chez eux, quand ils verroit que je ne me pourrois être ſauvé autre part, ils me conſeillerent de gagner païs, ſans perdre un moment de tems. Je crus que leur conſeil n’étoit pas mauvais, & l’ayant ſuivi à l’heure-même, je m’en fus chez le même Commiſſaire qui l’avoit emmené en priſon, lors qu’il m’avoit fait ſa premiere incartade. Je me donnai bien de garde étant arrivé chez lui de lui conter mon affaire, comme elle étoit, il n’y eut pas eu pour moi le mot pour rire ; Car s’il eſt vrai qu’il n’y ait point de Ville au monde où il ſe faſſe tant de cocus impunément qu’il s’en fait à Paris, il ne laiſſe pas d’être conſtant que cet abus ſe punit dans de certains cas, comme étoit le mien ; du moins s’il ne m’en fut pas arrivé grand mal, toûjours eſt-il