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revûs depuis. On informa cependant contre moi ſous le nom de ce Gentilhomme, & quoi que j’euſſe été batu, & que ce fut à moi à demander de gros dommages & intérêts, je fus encore condamné à lui faire réparation. On me ſupoſa de lui avoir dit des injures, & ma ſentence m’ayant été prononcée, je dis au Greffier que j’en appellois. Cette canaille ſe moqua de mon apel, & m’ayant encore condamné aux frais, mon cheval & mon linge furent vendus apparemment ſur & tant moins de ce quelle prétendoit que je lui devois. Elle me garda deux mois & demi en priſon, pour voir ſi perſonne ne me reclameroit. J’euſſe eu beaucoup à ſouffrir pendant tout ce tems-là, ſi au bout de quatre ou cinq jours le Curé du lieu ne me fut venu voir. Il tâcha de me conſolet & me dit que j’étois bien malheureux qu’un Gentilhomme du voiſinage de Roſnai, n’eut été ſur les lieux lorſque mon accident étoit arrivé qu’il eut fait faire les informations tout autrement qu’elles n’avoient été faites ; mais qu’étant trop tard preſentement pour y remedier, tout ce qu’il pouvoit faire pour moi étoit de m’offrir tout le ſecours dont il étoit capable : qu’il m’envoyoit toûjours quelques chemiſes & quelque argent, & que s’il ne venoit pas me voir lui-même, c’eſt qu’ayant eu des differens avec mon ennemi, dans leſquels il l’avoit même un peu maltraité, il lui avoit été fait deffenſe de la part de Mrs. les Maréchaux de France, ſous peine de priſon, d’épouſer jamais aucuns intérêts contraires aux ſiens.

Ce ſecours ne me pouvoit venir plus à propos. L’on m’avoit pris ce qui me reſtoit d’argent de mes dix écus, lors qu’on m’avoit mis en priſon. Je n’avois d’ailleurs qu’une ſeule chemiſe, laquelle ne devoit guéres tarder à pourir ſur mon dos, parce que je n’en avois point à changer ; mais comme j’avois bonne proviſion de ce que l’on accuſe ordinairement les Bearnois de ne pas manquer, c’eſt-à-dire beaucoup de gloire, je crus que c’étoit me faire