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que je ne pus m’empêcher de lui en témoigner mon reſſentiment ; par une parole très-offenſante. Il fut beaucoup plus ſage que moi, il fit ſemblant de ne la pas entendre, ſoit qu’il me regardât comme un enfant qui ne le pouvoit offenſer, ou qu’il ne voulut pas ſe ſervir de l’avantage qu’il croyoît avoir ſur moi. Car c’étoit un grand homme, & qui étoit à la fleur de ſon âge, de ſorte qu’on eût dit à nous voir tous deux qu’il falloit que je fuſſe fou, pour oſer m’attaquer à une perſonne comme lui. J’étois pourtant d’aſſez bonne taille pour le mien ; mais comme on ne paroît jamais qu’un enfant, quand on eſt pas plus âgé que je l’étois, tous ceux qui étoient avec lui, le loüerent en eux-mêmes de ſa modération, pendant qu’ils me blâmerent de mon emportement. Il n’y eût que moi qui le pris ſur un autre pied qu’ils ne le prenoient. Je trouvai que le mépris qu’il faiſoit de moi, étoit encore plus offenſant que la première injure que je croyois en avoir reçûë. Ainſi perdant tout-à-fait le jugement, je m’en allai ſur lui comme un furieux, ſans conſiderer qu’il étoit ſur ſon pallié, & que j’allois avoir ſur les bras tous ceux qui lui faiſoient compagnie.

Comme il m’avoit tourné le dos après ce qui venoit de ſe paſſer, je lui criai d’abord de mettre l’épée à la main, parce que je n’étois pas homme à le prendre par derrière. Il me mépriſa encore aſſez pour me regarder comme un enfant, deſorte que me diſant de paſſer mon chemin au lieu de faire ce que je lui diſois, je me ſentis tellement ému de colere, quoique naturellement j’aïe toûjours été aſſez modéré, que je lui donnai deux ou crois coups de plat d’épée ſur la tête. J’eus plutôt fait cela que je ne ſongeai à ce que je faiſois, dont je ne me trouvai pas trop bien : le Gentilhomme qui ſe nommoit Roſnai mit l’épée à la main en même-tems, & me menaça qu’il ne ſeroit guéres à me faire repentir de ma folie. Je ne pris pas garde à ce qu’il me diſoit,