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Ce Prince qui depuis ce tems-là avoit toûjours été prévenu de pis en pis contre le Cardinal, écouta volontiers tout ce que Mr. de Boüillon voulut lui propoſer contre l’Etat. Il crut que plus les choſes iroient mal en France, plus le Roi s’en dégoûteroit. Il ſavoit qu’il ne l’aimoit déja pas trop, & qu’ainſi il ne faudroit rien pour le perdre. Tous leurs deſſeins, quelque pernicieux qu’ils pûſſent être contre la fortune de ce Miniſtre, ne leur pouvant ſervir, s’ils n’étoient ſoûtenus des forces des Eſpagnols, Mr. de Boüillon envoya à Bruxelles un Gentilhomme qui étoit un ancien Domeſtique de ſa maiſon, nommé Campagnac. Il crut que ſon voyage ne pourroit être ſuſpect à la Cour, parce que ce Gentilhomme avoit un neveu qui avoit été pris au- près de Courtrai, par un parti Eſpagnol, qui l’avoit conduit dans la capitale de Brabant. Il avoit été bleſſé dans cette rencontre, & c’étoit-là un prétexte qui paroiſſoit plauſible de paſſer en ce Païs-là, ſans qu’on y pût trouver à redire. Les Eſpagnols le reçûrent bien, & le Cardinal Infant lui eut volontiers rendu ſon neveu à l’heure même, s’il n’eut eu peur qu’on n’eût pris quelque ſoupçon. Ce Prince fut ravi que le Comte de Soiſſons, à la ſuſcitation du Duc de Boüillon, fut d’humeur à vouloir troubler l’Etat. Il promit à ce Gentilhomme de faire donner à ce Prince cinquante mille écus de penſion par le Roi d’Eſpagne, d’abord qu’il ſe ſeroit retiré de la Cour, & cent mille francs au Duc de Boüillon, qu’il ſecouroit d’une Armée de douze mille hommes, qui agiroit ſous ſes ordres, ſans prétendre rien des conquêtes qu’il pouroit faire avec elle. Campagnac ayant fait ce Traité par écrit avec le Cardinal Infant, s’en revint à Paris ſans amener ſon neveu, qui crut qu’il n’avoit fait ce voyage, que pour l’amour de lui. Il rendit compte de ſa négociation à ces deux Princes, & en ayant été ſatisfaits, le Duc de Boüillon s’en fut à Sedan au bout de quelques jours, ſous prétexte que la Ducheſſe ſa femme y étoit in-