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mémoires de m. d’artagnan

Apprenez que je fais partie d’une querelle de trois contre trois, et l’on doit se battre au Pré-aux-Clercs, au bout du faubourg Saint-Germain. Je vous ai vu en si belle humeur que j’ai songé tout de suite à vous mettre en quatrième avec mes amis et moi dans l’affaire. Aussi viens-je de dire à cet homme, qui se nomme Jussac, et qui est le chef de la querelle, de vous chercher un adversaire. Ce Jussac commande au Havre-de-Grâce, sous le duc de Richelieu, qui en est gouverneur pour le cardinal, son oncle. Le différend est venu entre lui Jussac et mon frère aîné, pour ce que l’un a soutenu que les mousquetaires battraient les gardes chaque fois qu’ils auraient affaire ensemble, et que l’autre a naturellement affirme le contraire. Vous voyez que je ne pouvais accepter votre défi, parce qu’on ne court pas deux lièvres à la fois, et que nous allons nous battre dans quelques minutes. D’autre part, je voulais que vous eussiez bon témoignage par vos propres yeux de cet empêchement. De ce côté-là, vous serez servi à souhait, car vous voilà de la partie.

Je le remerciai sincèrement de m’avoir mis de son côté. Rien ne pouvait m’être plus agréable que de soutenir l’honneur des mousquetaires, puisque j’étais venu à Paris dans le seul dessein de me placer sous le patronage de M. de Tréville ; c’était une belle occasion pour moi de faire mon coup d’essai. Je lui assurai, de plus, que j’emploierais toutes mes forces à ne pas démentir la bonne opinion qu’il montrait de mon courage.

En devisant de telle sorte, nous avions dépassé les Carmes ; nous descendîmes la rue Cassette, puis la rue des Saints-Pères, et par la rue de l’Université nous arrivâmes au lieu choisi pour le combat.