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mémoires de m. d’artagnan

entendant ce singulier compliment. Je regardai mon homme, bien fixement entre les deux yeux, et je lui dis que s’il doutait un moment que je n’eusse pas du sang de ma race dans les veines, je lui ferais bien voir le contraire à quelques pas de là, dans la rue.

— Ho, ho ! mon camarade, me répliqua-t-il en riant, vous allez trop vite en besogne ; celui qui court si fort risque de se heurter le pied en route. Enfin vous êtes de mon pays, et mon voisin même ; je veux bien vous servir de gouverneur, et puisque cela vous tient au cœur d’en découdre, je me charge de vous en faire passer l’envie.

Il me fit signe de sortir, et dès que nous fûmes dans la rue, je crus qu’on allait mettre l’épée en main ; il me dit de le suivre, à neuf ou dix pas de distance, sans m’approcher de lui. Je pensai qu’il me menait à quelque endroit plus favorable aux rencontres, et je me donnai patience.

Il descendit du côté de la rue de Vaugirard qui va aux Carmes-Déchaux, et, devant l’hôtel d’Aiguillon, il s’arrêta pour parler à un homme qui se tenait sur le seuil. Je les crus, d’abord, les meilleurs amis du monde, car ils s’accablèrent d’embrassades ; mais, au bout de quelques minutes, l’entretien prit une autre tournure. L’homme parlait avec chaleur, et sur un ton de mécontentement. Puis ils vinrent au milieu de la rue, car le suisse de l’hôtel d’Aiguillon s’était approché au bruit de leurs voix ; tous deux, sans doute, ne tenaient pas à ce qu’on entendît leurs paroles. Enfin, Porthos, me désignant de la main, sembla me montrer au personnage avec qui il discutait.

Je n’y comprenais plus rien ; tout à coup Porthos revint à moi, et me dit :

— Je viens de me disputer pour l’amour de vous.