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mémoires de m. d’artagnan

J’avais été élevé très pauvrement, car mon père et ma mère n’étaient pas riches, et je ne songeais qu’à m’en aller chercher fortune, du moment que j’eus atteint l’âge de quinze ans.

Tous les cadets de Béarn, province dont je suis sorti, étaient assez sur ce pied-là, car ce peuple est naturellement belliqueux, et la pauvreté du pays ne lui fournit pas toutes les délices de la vie. Une troisième raison me poussait, qui avait déjà poussé plusieurs de mes voisins et de mes amis à quitter le coin de leur feu. C’était l’exemple d’un pauvre gentilhomme de notre voisinage qui s’en était allé à Paris, quelques années auparavant, avec une petite malle sur le dos pour tout bagage. Il avait fait une grande fortune à la cour ; moins grande que son mérite, cependant, et s’il avait montré autant de souplesse que de bravoure, il n’est si haute dignité à laquelle il n’eût pu prétendre. Le roi lui avait donné sa compagnie de mousquetaires. Sa Majesté disait même que si elle eût eu quelque rencontre particulière à soutenir, elle n’eût pas voulu d’autre second que lui. Ce gentilhomme se nommait Troisville, vulgairement appelé Tréville.

Mes parents ne me purent donner qu’un bidet de vingt francs, et dix écus dans ma poche, comme viatique de voyage. Ce n’était guère ; mais ils me bourrèrent, en récompense, de quantité de bons avis. Ils me remontrèrent que je prisse bien garde à ne jamais faire de lâcheté, parce que, si cela m’arrivait une fois, Je n’en reviendrais de ma vie. Ils me représentèrent que l’honneur d’un homme de guerre est aussi délicat que celui d’une femme, dont la renommée ne souffre pas le moindre soupçon. Si l’on ne témoigne que mépris à l’égard de celles qui passent pour être de