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(Il additionne du bout de sa plume. Réapparition de Valentine vêtue d’un manteau de voyage et tenant une valise à la main.)



Scène Quatrième


VALENTINE, TRIELLE

Valentine traverse la scène et gagne la porte du fond.

VALENTINE

Eh bien, adieu.

TRIELLE

Ah ! c’est toi, tu t’en vas. Eh bien, adieu.

VALENTINE

Tu n’as rien à me dire ?

TRIELLE

Non. Pourquoi ?

VALENTINE

Je ne sais pas. Je pensais que, peut-être…

TRIELLE

Tu te trompais.

VALENTINE

Je te fais mes excuses.

TRIELLE

Il n’y a pas de quoi.

VALENTINE

En somme on peut se quitter faute de pouvoir s’entendre, et conserver pourtant de l’estime l’un pour l’autre.

TRIELLE

C’est évident.

VALENTINE

N’est-ce pas ?

TRIELLE

Sans doute.

VALENTINE

Alors, c’est bien entendu ?

TRIELLE

Quoi ?

VALENTINE

Tu n’as rien à me dire ?

TRIELLE

Rien du tout.

VALENTINE

Eh bien, adieu.

TRIELLE

Eh bien, adieu.

(Trielle se remet à la besogne.)

VALENTINE

C’est égal, ou m’aurait rudement étonnée, si on était venu me dire hier que tu me flanquerais à la porte aujourd’hui.

TRIELLE

Je ne te flanque pas à la porte.

VALENTINE

C’est le chat. Qu’est-ce que tu fais alors ?

TRIELLE

Je ne te retiens pas. C’est tout.

VALENTINE

Mais…

TRIELLE

Tu veux t’en aller, va-t-en. Tu ne penses pas que je vais te garder de force, m’imposer à ton aversion et te fixer au mur comme un gros papillon, avec un clou dans l’estomac.

(Un temps.)

VALENTINE

… Et comme ça… ça ne te fait rien ?

TRIELLE

Qu’est-ce qui ne me fait rien ?

VALENTINE

Que je m’en aille.

TRIELLE

Ça ne te regarde pas. De quoi te mêles-tu ?

VALENTINE

Il me semble pourtant qu’après cinq ans de ménage, tu pourrais, sans te compromettre, me quitter sur une bonne parole.

TRIELLE

Je te souhaite de te bien porter et de trouver, là où tu vas, le bonheur que je n’ai pu réussir à te procurer sous mon toit. Je t’ai un peu battue, je t’en demande pardon, bien que les coups que je te donnai m’aient été certainement plus douloureux qu’à toi et qu’au fond je sois excusable de m’être conduit en dément les jours où tu m’as rendu fou. Ceci dit et le procès jugé de cette page d’histoire ancienne, je vis en paix avec moi-même. J’ai la conscience d’avoir été un tendre et fidèle mari. Patient à ton exigence, résigné à ta dureté, esclave aux petits soins de tes moindres caprices et travaillant dix heures par jour à écrire des romans ineptes mais qui me valaient la joie de te pouvoir donner un chez toi où tu avais chaud et des robes qui te faisaient belle, j’ai tout fait pour te rendre heureuse. Tu ne t’en es pas aperçue, n’en aie pas de remords, c’est dans l’ordre. La femme ne voit jamais ce que l’on fait pour elle, elle ne voit que ce qu’on ne fait pas.

VALENTINE

En tout cas, tu pourrais m’embrasser.

TRIELLE

Si tu veux.

(Il va à elle, l’embrasse froidement, redescend ensuite à l’avant-scène.)

VALENTINE, dans un mouvement de sortie.

Eh bien, adieu.

TRIELLE

Eh bien, adieu.

(Valentine, lentement, passe la porte, mais à peine a-t-elle disparu, qu’elle rentre, dépose sa valise, et revenant à son mari :)

VALENTINE

Donne-les moi, mes cent cinquante francs.

TRIELLE, avec douceur.

Non.

VALENTINE

Je t’en prie !

TRIELLE

Je ne peux pas, je t’assure.

VALENTINE

Pourquoi ?

TRIELLE

Parce que j’ai eu la