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ique. — Comme à vingt ans !


Landhouille. — Miséricorde ! Qu’est-ce que c’est encore que celle-là ?


Louison. — Tu ne me reconnais pas ?


Landhouille. — Non.


Louison. — Ingrat ! Je suis ta jeunesse embaumée !


Landhouille. — Je pense que les fous sont lâchés et qu’ils ont choisi ma maison pour s’y donner rendez-vous. Voulez-vous bien descendre de votre perchoir, tout de suite ! Qui est-ce qui m’a bâti une vieille perruche pareille !


Louison. — Comme tu me parles durement !


Landhouille. — Oui ou non, voulez-vous descendre de là ?


Louison. — Tends-moi du moins les bras !


Landhouille, qui l’aide à escalader la balustrade de sa fenêtre. — Misère !…


Louison, aux bras de Landhouille, pâmée. — On est bien !… Ah ! on est bien !… Berce-moi, dis ?


Landhouille. — Je ne vais faire que ça. (Il la pose à terre.) Ecoutez, le contentieux me réclame. Abordons la question de front. Vous venez chercher vos étrennes ?


Louison. — Oui.


Landhouille. — Je n’attendais pas moins de vous. A quel titre ? N’est-ce pas vous qui, il y a deux mois, vous êtes assise sur mon chapeau dans le tramway de la gare de l’Est ?


Louison. — Non.


Landhouille. — J’aurais cru. Cherchons ailleurs. Depuis quelque temps déjà, les locataires de cette maison et les fournisseurs du quartier sont infestés de cartes postales anonymes, où je leur suis représenté comme le dernier des gredins. (Souriant.) Vous en êtes peut-être l’auteur ?


Louison. — Non.


Landhouille. — C’est surprenant. Mais j’y songe ! Le feu a pris hier au soir dans le cabinet de toilette, pendant que je me lavais les pieds. Il s’en est fallu d’un cheveu que je grillasse comme un bout de boudin. (Très régence, lui prenant les doigts.) Me serait-il donné de presser la petite main qui alluma l’incendie ?


Louison. — Non.


Landhouille. — Même pas ? Vous me désespérez. Je vous croyais ma bienfaitrice.


Louison, mélancolique. — Et voilà ceux auxquels nous sacrifions tout : nos pudeurs de jeunes filles, la fleur de nos baisers, les illusions de nos vingt ans !(Long soupir.) Alors, non ? Tu ne me reconnais pas ?


Landhouille. — Aucun souvenir.


Louison, ironique. — C’est gai. (Avec transports.) Tu m’as aimée, pourtant !


Landhouille. — Jamais de la vie.


Louison. — Ne mens donc pas. Si tu ne m’avais aimée de l’amour le plus pur, le plus tendre, le plus délicat,