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lorsqu’ils se rencontraient, s’entretenant par lettres cérémonieuses et sèches des intérêts communs de l’Administration. Bourdon traitait La Hourmerie de paperassier et de gaspilleur ; La Hourmerie, de son côté, appelait son collègue « Monsieur l’Épicier », par allusion à la ficelle et aux bougies dont le chef du matériel était le grand répartiteur, et ces grotesques inimitiés faisaient suer Lahrier à grosses gouttes.

Donc ce jour-là, comme de coutume, M. de La Hourmerie travaillait encore, bien qu’il fût près de cinq heures et demie.

Il venait d’allumer sa lampe, et sous le coup de clarté de l’abat-jour il revisait les rédactions de Chavarax avant de les envoyer au visa d’approbation du Directeur.

C’était pour lui l’heure vraiment douce de la journée, où se pouvaient gaver, délecter tout à l’aise, de belle prose administrative, ses instincts de rond-de-cuir endurci. À lire les phrases de Chavarax, hérissées d’âpres lieux communs, il goûtait des joies de fin gourmet. Ses jouissances étaient infinies, encore, d’ailleurs, que tout intimes et qu’à peine un soupçon de sourire les trahît — moins qu’un soupçon : une ombre, une idée, un rien !