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saient depuis des années semblaient les caractéristiques de leur étroite parenté, et si l’un fleurait l’âcreté des paperasses empoussiérées, l’autre exhalait l’odeur atroce des vieux chastes, doucereuse, écœurante, qui est comme le relent de leurs virginités rancies.

Certes, René Lahrier n’aimait guère le bureau, mais plus encore il exécrait le père Soupe, tenant sa société pour aggravation de peine. Il était de ces êtres tout nerfs, chez qui l’agacement a vite dégénéré en animosité haineuse. Soupe n’avait pas ouvert la bouche que déjà il l’assourdissait de ses rappels au silence, les poings clos, malade d’exaspération devant même que les chandelles fussent allumées. La passivité épeurée du bonhomme l’excitant, il en était venu à ne plus voir en lui qu’une loque bureaucratique, au long de laquelle, volontiers, il eût essuyé ses semelles. Il s’en était fait un joujou ; il se divertissait à l’ahurir d’injures, de scies empruntées au répertoire varié des rapins de la place Pigalle. Il scandalisait ses pudeurs, bouleversait de théories extravagantes sa foi aveugle de vieil ingénu, tant que le pauvre homme, parfois, aimait mieux lui céder la place, déserter son cher bureau, et jusqu’au soir s’en