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voisine — elle paraît une sombre lézarde aux murs laiteux des hôtels Cappriciani et Lamazère-Saint-Gratien, qui, de droite et de gauche, la flanquent. De près, elle a la mélancolie pénétrante des choses, la grotesquerie attendrissante d’une pauvre vieille fille sans gorge, au teint de boue haché de gerçures. Et par ses vitres exiguës, closes sur le noir, éternellement, elle répand une désolation de maison abandonnée ou que viendrait visiter une brusque attaque de choléra. Il semble qu’à travers ses épaisses murailles passe, transpire, s’évapore, pour en infester le quartier, la solitude glaciale de ses interminables corridors, aux dalles sonores que lèche du matin au soir la lueur agonisante d’un gaz mi-baissé.

Sans qu’on sache au juste pourquoi, on devine le vide immense de cette caserne, la non-vie des trente ronds-de-cuir noyés en son vaste giron. On pressent le silence sinistre de ces bureaux inoccupés et de ces archives lambrissées : catacombes administratives qu’emplit tantôt un froid de glace, tantôt une chaleur d’étuve, et où dorment pêle-mêle, sous un même linceul de poussière, des ballots de dossiers entassés, des chaises éventrées, des cartons en lambeaux, jusqu’à des chenets et à