Page:Courteline - Messieurs les ronds-de-cuir, 1893.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Si un Inconnu ténébreux enveloppait sa vie privée, cela est superflu à dire !…

Les probabilités cependant — tant, quelquefois, il arrivait pitoyable au bureau, le teint boueux, la cravate lâche, le faux col en accordéon — étaient qu’il employait ses nuits à errer au hasard des rues, sous les clairs de lune ou les pluies ; et tout cela ne laissait pas de semer quelque inquiétude en les âmes de ces messieurs, en celle, surtout, de M. de La Hourmerie, dont le nom mettait à revenir dans les discours de Letondu une obstination regrettable.

Or, vers le milieu du mois de mai, ce sinistre énergumène puisa dans les lobes distendus de son cerveau deux ou trois petites conceptions d’une réjouissante insanité.

Échafaudée tant bien que mal sur de vagues souvenirs de collège, sa hantise de l’Antiquité avait atteint au paroxysme, si bien que, lâché à toute bride dans une mêlée inextricable de guerriers et de philosophes, les prenant les uns pour les autres, exaltant indifféremment le caractère de Regulus et celui de Caligula, confondant Mithridate avec Sardanapale, Thémistocle avec Télémaque, Lycurgue avec Laocoon, il résolut enfin