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grand-chose. De temps à autre, simplement, des éclats de voix filtraient à travers la cloison : des soliloques où grondaient des colères, des paroles de revanche, de tragiques représailles, d’aubes prochaines qui saignaient déjà à l’horizon en roseurs de bon augure. C’était ensuite, pendant des temps interminables, le silence à l’affreux cortège, semeur d’anxiétés, troubleur d’âmes, qui fait apparaître les gens sur les seuils des portes entrouvertes et se questionner de loin, à la muette, avec des regards qui implorent et des fronts qu’embrume le souci d’une préoccupation commune. Dans tous les yeux, la même interrogation : « Qu’est-ce qu’il fait ?… Qu’est-ce qu’il peut faire ?… Est-ce que, par hasard, il serait mort ? » Et quelquefois, à la joie sans bornes d’Ovide, le soir bleu tombait, puis la nuit, sans que le mystérieux attardé sonnât pour avoir une lampe !… Il avait d’ailleurs renoncé à reconnaître qui que ce fût. Plus une parole à personne, un souhait de bonjour, rien du tout. Sous des sourcils aussi larges que des pouces, il roulait des yeux de fauve traqué ; derrière ce front haut de deux doigts, où la brosse rase des cheveux descendait en pointe d’écusson, le génie de la persécution développait ses âpres germes.