Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/81

Cette page n’a pas encore été corrigée

puis à l’inquiétude angoissée de quelqu’un qui se sent sous le coup d’un péril.

Une deuxième visite à la poste, que couronna un deuxième insuccès, l’emplit de mélancolie ; à une troisième, dont le résultat fut précisément le même que celui des deux précédentes, il désespéra tout à fait, et il se retira sans un mot, comprenant quel horrible vide creusent sous le pied des pauvres hommes les deuils cruellement ressentis.

À vrai dire, il n’avait pas cru que les choses tourneraient au tragique ; sa faute, envisagée à travers l’indulgence que ses petites faiblesses lui inspiraient toujours, ne lui était pas apparue indigne de miséricorde.

Car il était plein de bonne foi dans sa manière de se flétrir avec le sourire sur les lèvres ! Bien des fois, à cette heure qui suit le départ de la bien-aimée, quand l’appartement au pillage fleure encore le subtil parfum des jeunes seins qui s’y sont mis nus, des beaux cheveux qui s’y sont dénoués, des lèvres qui s’y sont tendues, il avait senti le remords se glisser traîtreusement comme un ver, en son âme débordante de gratitude émue. Bien des fois, au songer de l’apprentie blanchisseuse, il avait eu le hochement de tête qui émet un doute secret et dit : « Ton nez remue, conscience ! » Bah ! toujours il avait chassé de la main l’essaim de ses scrupules superflus, prêt à la rigueur à se blâmer, mais comme on blâme et gracie à la fois les petites fredaines du prochain, contées gaiement, entre le fromage et la poire, dans la chaleur communicative d’un banquet de vieux labadens. Jamais l’idée n’avait pu germer en sa tête que ses trahisons de chaque jour ne fussent pas de simples enfantillages, et même, à la réflexion, jamais le soupçon ne lui fût venu que Marthe pût pousser la susceptibilité jusqu’à en juger autrement.