Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

ses yeux se trempaient de nobles larmes. Et sans transition, à propos de rien, il s’en prit à la jeune Hélène. Avec, dans le terme, une recherche de l’ignoble, de l’ordure, de l’abjection, qui trahissait en lui les fonds de tendresse blessés d’une brute sentimentale, il crayonna de son amoureuse une exquise petite silhouette : « Vache ! Fumier ! Charogne ! » Pis encore ! – Une rosse pour laquelle j’ai tout fait ! à laquelle j’ai tout sacrifié : une chaire au Conservatoire, la Légion d’honneur, l’Institut !

Cette avalanche de dignités lui paraissait si strictement en rapport avec ses titres à les obtenir, qu’il ne doutait même plus qu’on les lui eût offertes.

— Quand on songe !… Moi, Hour, Prix de Rome !… En être réduit à battre le cachet ! Et ça pour une sale volaille qui me fait des queues avec tout le quartier !… Vous savez que je ne l’ai pas revue ?

— Bah ! fit Cozal.

— Parole d’honneur !… Voilà cinq jours qu’elle a filé ; et depuis, aucune nouvelle !…

Une chose, particulièrement, affolait le musicien, toujours hanté de l’idée fixe de franchir de force ou de ruse le seuil des Paradis refusés : le chic vraiment miraculeux avec lequel Hélène lui glissait dans les doigts à l’instant même où il croyait enfin la tenir. Ceci arrivait en moyenne une fois le mois. Gentiment, bras dessus, bras dessous, bavardant de choses quelconques, ils revenaient de boire les bocks d’une petite brasserie montmartroise dont ils étaient les habitués ; et juste comme il se glissait, triomphateur content de soi, par l’entre-bâillement de la porte d’Hélène, ouverte à son coup de sonnette : crac ! plus personne ! l’aimable enfant avait