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Et ayant, en effet, allongé vingt-cinq francs dans tout le désespoir de mon âme, j’en allai prévenir Lamerlette.

Lamerlette bondit du lit comme une fusée. Les yeux hors de la tête, il me saisit au col, m’abreuva de reproches, me traita de voleur, de canaille, de concussionnaire. Il dit que je payais mes dettes avec « l’argent des personnes », et que jamais il n’oublierait un tel excès de déloyauté.

Là-dessus il mit son pantalon et tomba à une prostration silencieuse. Vingt minutes il erra à travers l’atelier, rêvant, mâchonnant ses rancunes, faisant halte de temps en temps pour compter et recompter dans le creux de sa main les dix-huit francs six sous qui nous restaient en caisse : toute une tragédie intime que je guignais du coin de l’œil en piquant d’une pointe de couteau un morceau de boudin qui chantait sur le poêle.

Nous déjeunâmes face à face sans échanger une parole ; mais comme je pliais ma serviette :

— Conviens, Maudruc, dit Lamerlette que tu t’es conduit comme un mufle.

— J’en conviens, confessai-je avec une parfaite indifférence.

— Eh bien ! continua-t-il, tu as un moyen de racheter ton improbité. Il nous manque vingt-deux francs pour payer nos entrées au bal : mets ta pendule au mont-de-piété, nous aurons toujours douze francs dessus, et je me charge d’emprunter le reste à Zackmeyer.

Je m’exclamai :

— Jamais de la vie ! Une pendule que maman m’a donnée pour ma fête, et qui est le luxe de l’atelier !…

— Ça ne fait rien, reprit Lamerlette, mets-là au mont-de-piété tout de même.