Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/199

Cette page n’a pas encore été corrigée

avions déjeuné de quatre pommes de terre et commencions à nous demander si le destin n’allait pas nous contraindre à ne dîner que de leurs pelures, quand le père Zackmeyer vint nous voir.

Ce Zackmeyer était un vieux fripier de Montmartre qui vendait et achetait de tout, depuis des Diaz apocryphes jusqu’à des fers à repasser. Il fit le tour de l’atelier, inspecta sans souffler mot la nuée d’études et d’ébauches qui en habillait les murailles, et finalement déclara :

— Tout cela ne vaut pas un clou ; bien sûr non, ça ne le vaut pas. C’est sec, ça manque d’intérêt et ça sent le pompier à plein nez. Ah ! la la ! en voilà de la sale peinture. N’importe, je suis un brave homme ; je ne veux pas être monté pour rien. Qu’est-ce que vous voulez de tout ça ?

— Douze cents francs, dit Lamerlette.

Zackmeyer ne s’émut pas ; il dit tranquillement :

— Douze cents francs ? Je vous en offre quatre louis.

Nous acceptâmes aussitôt.

Zackmeyer, sur un coin de table, nous aligna donc quatre jaunets ; Lamerlette, de sa main droite, les chassa dans le creux de sa main gauche, puis dans les profondeurs ténébreuses de ses poches, où on les entendit s’abattre l’un sur l’autre avec le bruit d’une grêle d’or, après quoi il dit gravement :

— Il faut employer utilement un argent qui nous vient du ciel. Nous sommes aujourd’hui lundi gras, c’est bal à l’Opéra demain, nous allons nous offrir ça ; y a trop longtemps que ça me démange.

Au mot de « bal », le père Zackmeyer était devenu attentif.

— Parbleu, fit-il, voilà une admirable idée et véritablement vous jouez de bonheur ; j’ai chez moi un stock de costumes