elle-même faite chair et poussée à de tels paroxysmes qu’elle en devenait démontante. Que de fois je le vis employer les deux sous qui composaient toute notre fortune à acheter des cure-dents, des épingles à cheveux ou des portraits de l’empereur du Brésil ! Il trouvait cela tout naturel et il le proclamait avec tant de candeur que je perdais jusqu’à la force de le blâmer. Tout de même nous dansions devant le buffet ces jours-là, car l’épicier de la rue Burq n’était pas toujours en humeur de faire de la politique, et puis enfin il fermait le dimanche, ce brave homme ! Mais, bah ! c’était l’âge admirable où l’on vivrait sans boire, ni manger, ni dormir, l’âge où l’on vit, parce que l’on vit, et qu’il n’y a pas à en chercher plus long. Ah ! la jeunesse !…
Il s’interrompit. Du bout de sa brosse il posa un reflet de lumière en la prunelle du saint Jérôme qu’il peignait. Et tandis que je le regardais faire, silencieux et intéressé, des meuglements lointains de cornets à bouquins peuplaient le calme de l’atelier, s’en venaient expirer par les lourdes tapisseries qui en masquaient, entre leurs loques vénérables, les murs au ton de chocolat.
— Au fait, dit-il tout à coup, t’ai-je jamais conté l’histoire de la pendule ? C’est cette mi-carême qui me la remet en mémoire.
— Ma foi non, répondis-je.
Il reprit :
— Eh bien ! écoute-la ; elle vaut la peine d’être entendue. Cela se passait justement un de ces jours d’effroyable dèche qui occupaient pour nous tant de place dans le mois. On nous eût mis, Lamerlette et moi, sous le pressoir, du diable si de nos goussets eût jailli seulement une pièce de six liards ! Nous