êtées sur l’argent, exclusivement fait pour être consacré à se payer des rigolades, des gâteaux ou des belles affaires. À la question qu’il lui posa ensuite : « Avez-vous soif ?… Avez-vous faim ? », elle répondit n’avoir ni faim ni soif, ceci avec une discrétion charmante de petite pauvre respectueuse de la médiocrité des camarades.
— Je n’ai besoin de rien.
— Bien vrai ?
— Parole d’honneur ! Donnez-moi le bras et rentrons.
Cozal dut obéir. Il lui offrit son bras, qu’elle prit ; et près l’un de l’autre, sans se hâter, ils s’acheminèrent vers Montmartre sous un clair firmament d’automne, où la lune jouait à saute-mouton de nuage en nuage.
Tout en marchant, elle jacassait, revenue à sa composition du rôle de Madame Brimborion dont elle donna les tenants et les aboutissants, les pourquoi et les parce que. Elle n’y mettait d’ailleurs aucune prétention : fillette ravie de jouer la comédie, qui ne se lasse pas d’en rabâcher sa joie et volontiers arrêterait les passants pour leur crier : « Je débute demain ! » comme une échappée de couvent persécute les gens autour d’elle à rabâcher vingt fois par heure : « Je vais à mon premier bal dimanche. »
— Ce n’est bien sûr pas, fit-elle, parce que je joue le rôle de Madame Brimborion, mais je suis sûre d’un grand succès !
— Oui ?
— J’en mettrais ma main au feu. Elle est si jolie, cette pièce !… Tenez, une chose qui me ravit, c’est quand le chevalier me presse sur son cœur en disant qu’il avait voulu souffler la noirceur en mon âme mais qu’il n’a pas osé le faire parce que je lui fais l’effet d’une rose incomprise !… Je ne peux pas l’entendre me dire cela sans avoir envie de pleurer ; je crois toujours que c’est arrivé, que le chevalier m’aime pour de bon et que je suis une rose pour de vrai. C’est bête, c’est ridicule ; mais c’est plus fort que moi !
[[Image:Carlègle Les Linottes page 142.