croupes d’acajou encroûtées de bouses séchées. À travers l’accumulation des années laissées derrière moi, tout à la fois si lointaines et si proches, je revois la magnificence du jardin de la rue de la Fontenelle, les nuits bleues et les aubes dorées qui en baignaient les ormeaux et les hêtres et aux douceurs desquelles le paysagiste Lépine retrempait chaque matin son inspiration ; je revois les dimanches de beau temps, les invasions de Parisiens grimpés au sommet de la Butte chargés de boustifailles diverses, de paniers dont se soulevaient les couvercles sur des pâtés aux allures de forteresses, des quartiers de veau en gelée, des goulots de Champagne et des litres de café froid. C’était alors les agapes bon enfant dans les herbes des pelouses parsemées de pâquerettes, les fusées de rire, les chansons à la mode, lancée naguère par Thérésa : la Gardeuse d’ours, le Chemin du moulin, le Sapeur. Et la journée passait vite, s’achevait enfin dans le crépuscule venu des lointains horizons, tandis que des lampions bleus et rouges s’allumaient, tout seuls semblait-il, dans les feuillages des platanes.
La nuit venue et la lune levée, la villa reprenait son calme et les Montmartrois d’occasion, leurs batteries de cuisine et leurs paniers d’osier, lâchés maintenant par la rue Ravignan ou par les pentes de la rue Lepic qu’emplissait d’une gaieté bruyante l’orchestre du Moulin de la Galette, à la recherche du seul omnibus qui desservît vraiment la Butte, la reliât au cœur de Paris : celui de la Halle-aux-Vins à la place Pigalle, vieux serviteur, resté fidèle au poste, d’ailleurs, et toujours vert, ainsi que chacun a le droit de s’en assurer. Et, tandis que maman me fourrait dans le dodo où venait aussitôt me rejoindre le minet, compagnon chéri de mon enfance, dont le ronron berçait mon sommeil toutes les nuits, mon père se