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maîtresse, émettait des sons imprécis d’où il paraissait résulter que cette traînée, pourvue de certains dons naturels, en aurait pu tirer parti si elle n’avait pas eu « que le… derrière dans la tête », – métaphore dont la hardiesse jeta à un délire de joie la principale intéressée. Celle-ci, au reste, ayant compris ce que l’on désirait d’elle, s’exécuta à l’instant même, de la meilleure grâce du monde : elle prit d’assaut la table désignée, en bonne enfant ennemie des stupides chichis, qui ne demande qu’à faire plaisir. La façon dont elle dit à Hour : « En si bémol, Stèph, s’il te plaît », la joue encore zébrée des cinq doigts de ce butor, la révéla si petite fille que Cozal et Hamiet, émus, échangèrent d’instinct un coup d’œil. Un tyrolien coiffait Cozal : elle le lui emprunta, l’aplatit d’une tape, le transforma en un boléro imprévu qu’elle se posa de biais sur l’oreille ; après quoi, la main gauche chassée derrière la jupe et la droite plus haut que la tête, crispée sur d’imaginaires castagnettes :

La Manola ! annonça-t-elle.

Ah ! la chose exquise que ce fut !… Elle n’avait pas dit un couplet, qu’Hamiet, déjà, criait au miracle :

— Mais c’est inouï !… Mais c’est fou !… Mais où diable avez-vous appris ?

Où elle avait appris ?

La belle question !

À la grande école communale où les galopins de la rue apprennent à tirer de leurs doigts des coups de sifflet assourdissants, à imiter le chien écrasé, la trompe des pompiers et la chatte amoureuse. Ce fut merveille de l’entendre, préludant au deuxième couplet, faire retentir à son palais le clair roulement des castagnettes, sonner au vide de sa bouche la peau d’âne du tambour de basque.

Alza !