de petits commerçants qui ferment boutique à neuf heures et les régiments de messieurs qui, pour avoir dîné en ville chez de vieux parents où ils se sont rasés, se trouvent comme des âmes en peine, à neuf heures et demie du soir, sur le pavé de la capitale !
— Il y a du vrai dans ce que vous dites là, prononça Robert Cozal de qui fondait l’hésitation à la conviction ardente flambant aux lèvres de son ami.
— Du vrai !… Comment, s’il y a du vrai !… Je vous dis…
(avide de convaincre, Hamiet éleva vers le ciel sa fourchette enrubannée de haricots verts)
— … je vous dis que des sommes énormes restent chaque soir dans des poches d’où elles ne demanderaient qu’à sortir, faute d’un théâtre ouvrant ses portes à dix heures, qui se présente pour les recevoir !
Il goba les haricots, en repiqua au fond de son assiette une nouvelle fourchettée qu’il rebrandit par les libres espaces.
— Je vous dis que l’homme qui fera cela, qui fondera en plein boulevard un théâtre de Dix-Heures, pratique, confortable, élégant, et où on ne jouera que des pièces gaies, – car les heures ont leurs exigences ! – gagnera trente à quarante mille francs par mois, par la force même des choses, par le seul fait qu’il aura étanché une soif !
Il se grisait, à discourir ; ses yeux de dormeur éveillé s’ouvraient sur des apothéoses. Mais depuis un instant déjà le large masque de Gütlight reflétait des inquiétudes, grimaçait l’angoisse du monsieur qui, pour s’être fait saler les fesses, jadis, du coup de fusil d’un chasseur maladroit, ne saurait voir sans défaillance une arme chargée dans les mains de son prochain. Et un tremblement de gélatine balbutiait au bord