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sens précis du terme, et il ne justifie que très imparfaitement les indignations d’Alceste. « Loups !… Traîtres !… Effroyable haine !… » Quels mots sont-ce là ? Le public, en qui opère à son insu le rapprochement de cause à effet et que déroute l’excessif de pareils emportements, ne comprend pas ce qu’on veut lui dire. Ingénument porté à « prendre la muse au mot », selon l’expression de Hugo, il lui semble qu’une injustice est commise par un honnête homme, et, partagé entre l’honnête homme qu’il admire et l’injustice qu’il désapprouve, il rappelle le dindon de la fable, celui qui voit bien quelque chose mais ne sait trop pour quelle cause il ne distingue pas très bien.

Oui, à l’Alceste que nous présente Molière, j’en préférerais un moins tragique, qui réfugierait au désert, non la sombre haine des hommes, mais simplement l’impossibilité où il en est venu peu à peu, de supporter le spectacle de leur stupidité sans bornes. La pièce y perdrait en grandeur, mais y gagnerait en vraisemblance.