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que MM. les bancroches sont réputés pour l’excellence de leurs mœurs (par opposition à MM. les bossus qui sont des personnes débauchées), le tortillard dont il s’agit a reçu du ciel un cœur pur, un fonds de philosophie sereine et le goût de la médiocrité. Comme l’étude Lebourru est chauffée de novembre à mars, qu’il peut deux ou trois fois par jour aller fumer aux cabinets, que ses collègues, avides de ne point l’humilier, feignent de ne pas remarquer sa jambe et lui témoignent beaucoup de considération, il serait un tortillard heureux, sans un cheveu, qu’il a dans sa vie.

Car ce pauvre homme a un ennemi : un chien de boucher de la rue Pigalle, qui, ne pouvant le voir en peinture à cause de son infirmité, le lui fait cruellement sentir.

Tous les matins c’est la même comédie : le derrière dans la sciure de bois, du seuil de sa boucherie qu’il garde, le chien espionne à l’horizon l’apparition du boiteux. Et dès que point, en les éloignements de la rue, la silhouette bizarrement balancée de ce dernier, l’exaspération s’empare de lui, la rage écumante et farouche d’une Pythie en mal d’oracle. Il s’élance, il traverse la rue comme un obus, et ayant joint celui qu’il hait, tour à tour il le suit, le flanque, le précède, avec des aboiements furieux qui insulte la jambe de