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uns les autres, les plus robustes foulant aux pieds les plus faibles afin de leur passer sur le corps et de gagner un peu plus vite la sortie. C’était un terrible spectacle, dont je n’étais point ému d’ailleurs et qui, même, ne laissait pas que de m’intéresser vivement. Mais ma surprise fut extrême de voir, d’un élan spontané, les acteurs s’approcher de la rampe et crier de toutes leurs forces :

— Ne vous en allez pas ! Ne vous en allez pas ! Nous n’avons pas encore fini. Attendez, mesdames et messieurs ; vous allez voir comme nous jouons bien, comme nous avons du talent !…

La conscience de leur valeur les aveuglaient à un tel point qu’ils ne prenaient point souci à songer que les autres brûlaient. Peut-être, même, ne voyaient ils pas l’incendie !… Or, la foule demeurant sourde à leurs prières, il advint qu’un des comédiens, pourvu sans doute de la puissance magnétique, fut pris d’une violente colère. Il vint à la boîte de souffleur, étendit le bras dans le vide en s’écriant d’un ton de commandement :

— Restez !

Et les spectateurs, comme frappés de paralysie, eurent les pieds rivés au sol, pareils, dès lors, à de rugissantes statues, les regards fixés malgré eux sur les acteurs qui s’étaient remis à bien jouer.