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de quoi qu’y retourne ! « En veste ! » qu’y dit l’un ; « En blouse ! » qu’y dit l’autre ! Ed’ veste en blouse, d’ bottes en sabots et d’ pantalon d’ cheval en pantalon de treillis, j’ finirai ben par prend’, moi aussi, ma couverte !… Et y en a comme ça qui rengagent ! Qu’est-ce que faut qu’y z’ayent dans la peau ?… (Il se soulève sur les poings et se hisse jusqu’à sa chandelle.) La la ! Si y a jamais qu’un congé de rengagement pour em’ tomber su’ eun’ dent creuse… (Il souffle la lumière.) j’suis pas près d’avoir eun’ fluxion… Bonsoir ma cocotte.

Il s’endort.

LE SOUS-OFFICIER. — Veillez-y, hein ?
Silence et nuit. Au loin, le trompette de garde sonne l’extinction des feux.
Tout à coup, la porte qui, depuis un instant, est secouée d’étranges soubresauts, cède et s’ouvre, chassée d’un coup de pied ; et sur un fond lumineux de lune, la silhouette se détache en noir de La Biscotte, ivre à rouler. Il a le plumet au shako, le vaste manteau à pèlerine des nuits de pluie et de grands froids. Il demeure là, hésitant, cramponné des deux mains aux chambranles de la porte. À la fin, d’une voix éplorée :

Lidouère !… Lidouère !… Lidouère !…

Lidoire, éveillé en sursaut et qui se dresse dans son lit.

— Eh ? Quoi ? Qui c’est qu’ est là ? C’est-y toi, La Biscotte ?



Scène III

LIDOIRE, LA BISCOTTE.
La Biscotte, d’une voix empêtrée de colle de pâte.

Oui, c’est moi… Mon pau’ ieux… s’ suis saoul comme eun’ vache.

Lidoire.

Viens te coucher, si c’est qu’ t’ es plein.

La Biscotte.

Mon ’ieux salaud…, m’en vais te dire une bonne chose : m’ rappelle pas où qu’est mon pucier.

Lidoire.

Tu t’ rappelles pas où qu’est ton pucier ?

La Biscotte.

Non, mon ’ieux… S’ sais pas comment qu’ ça se fait…, m’ rappelle pas où qu’il est… Où qu’il est mon pucier, Lidouère ?

Lidoire, égayé.

C’est y couenne, hein, un homme qu’est bu !… (Il saute du lit, vient au secours de cette pitoyable détresse.) Allons, arrive ! (Sous les aisselles, il a empoigné son copain. Celui-ci fait un pas, bute du pied et donne du nez en avant.) Hé là ! Attention donc !

La Biscotte, soutenu sous les bras et dont le bancal bat le fer des couchettes, au passage.

… S’ suis saoul.

Lidoire.

Eh je l’ cré ben, q’ t’ es saoul ! Y s’a même payé ta fiole, et salement, c’ t’y-là qui t’a vendu ça pour du sirop de radis noir. Quien, le v’là ton pucier, couche toué. (Lui-même regagne son lit, en hâte.) J’ suis gelé, bonsoir de bonsoir !

Long silence. La Biscotte, au pied de son lit, demeure sans un mot, sans un geste, à regarder tourbillonner l’ombre. À la fin, d’une main qui tâtonne et ne trouve pas, il déboutonne son manteau, s’efforce ensuite, mais vainement, de déboucler son ceinturon. Son buste, comme vidé par l’ivresse, oscille de tribord à bâbord. Chute bruyante de son shako, qui s’en va rouler on ne sait où, dans la nuit.
Lidoire, vaguement inquiet.

Ah çà, qu’éq’ tu fabriques ? C’est t’y q’ tu vas pas pagnotter ?

La Biscotte.

Mon pau’ ieux, ’vais t’ dire un’ bonne chose… s’ peux pas ertirer ma culbute.