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Le président.

Oui.

La Brige.

Et en Écossais ?

Le substitut, avec éclat.

Non !

La Brige.

Non ?

Le substitut.

Non !

La Brige.

Voilà du nouveau, et voici une drôle de Justice, qui, mise au pied du mur, forcée par la Logique, en arrive à se prononcer entre la Turquie et l’Écosse, au risque d’amener des complications et de troubler sur ses assises l’équilibre européen.

Le substitut.

C’est bon ! Assez ! Cela suffit ! Je vous vois venir avec vos gros sabots, vos histoires de deux sous et de jupe écossaise qui se soulève sous les courants d’air. M. le président a dit vrai : vous êtes venu ici pour vous moquer du monde.


LE SUBSTITUT. — Cela suffit !
La Brige.

Du monde, non, mais de la Loi, qui a bien tort de crier au scandale quand un bon garçon comme moi se borne à la châtier en riant. Gare, si un jour les gens nerveux s’en mêlent ! lassés de n’avoir pour les défendre contre les hommes sans justice qu’une Justice sans équité, éternellement préoccupée de ménager les vauriens, et toujours prête à immoler le bon droit en holocauste au droit légal dont elle est la servante à gages !

Cependant, depuis un instant, le président est entré en conférence avec ses deux assesseurs. La Brige ayant achevé, le substitut se lève, d’un mouvement exaspéré ; mais le président, d’un geste pacificateur, le calme et l’invite à se rasseoir. Après quoi :
Le président.

La cause est entendue.

(Il prononce.)

« Le Tribunal, après en avoir délibéré ;

« Attendu qu’il résulte du constat de Legruyère, huissier, et de plaintes au nombre imposant de treize mille six cent quatre-vingt-sept, que La Brige, au mépris des lois sur la décence, a découvert, mis à jour et publiquement révélé une partie de son individu destinée à demeurer secrète ;

« Attendu que le prévenu, tout en reconnaissant l’exactitude des faits qui font l’objet de la poursuite, objecte du droit absolu, dévolu à tout locataire, d’user à sa convenance d’un logis qui est le sien, et, notamment, de s’y dépouiller de tout voile si le caprice lui en vient, à condition, bien entendu, de n’être une cause de scandale pour les voisins ni les passants, ce qui est précisément son cas ;

« Attendu que La Brige, contraint et forcé, par les exigences de l’été, de tenir ses fenêtres ouvertes, donc de livrer sa vie privée au contrôle d’une foule indiscrète et goguenarde, prétend que son domicile est devenu l’objet d’une violation de tous les instants : argument d’autant plus sérieux que si le premier venu est en droit de plonger chez les particuliers et de regarder ce qui s’y passe du haut d’un trottoir surélevé, il peut procéder logiquement à l’accomplissement de la même opération au moyen d’une échelle, d’une perche, d’une corde à nœuds ou de tout autre appareil gymnastique, et que, dès lors, l’intimité du chez-soi devient un mot vide de sens ; …

La Brige.

C’est clair comme le jour.

L’huissier.

Silence !