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de caviar vint à moi pour la seconde fois, et pour la seconde fois aussi, avec, du reste, la même déférence majestueuse qui m’avait tout à l’heure conquis :

— Monsieur, demanda-t-il, déjeune ?

Pour la seconde fois, à mon tour, et une brusquerie sur la lèvre :

— Pardon ! Je vous ai dit : « tout à l’heure ! » répondis-je.

Pourtant, comme il s’éloignait :

— Dites-moi, garçon. Personne n’est venu me demander ?

La compatissante discrétion avec laquelle répondit : « Non, monsieur », cet homme qui, évidemment, avait flairé le dessous des cartes et m’eût pu accabler de goguenarderie assassine, lui gagna toutes mes sympathies.

Plein de pitié pour ce pauvre diable, dont, en somme, j’accaparais une des tables pour une consommation de dix sous :

Au fait, si ! Servez-moi, lui dis-je. Ce que vous voudrez, je m’en moque. Une côtelette, tenez ; et du brie.

Il dut ne pas rester fermé au sentiment qui m’animait, car, tandis qu’il poussait devant moi une assiette