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MADAME DESBORDES-VALMORE À BORDEAUX

Gergerès, lui aussi, se lamente sur le sort de son ami, et elle fait chorus avec lui :

Ce que je comprends tout aussi parfaitement, c’est votre douleur sur M. de Peyronnet et votre douleur de le sentir là-dedans. Ah ! voilà des maux immenses. Je désire du fond et de toute l’énergie de mon âme que ceux qui les causent en perdent le pouvoir. Dieu ne veut pas que la cruauté règne…[1]

Enfin, le 20 octobre 1836, elle apprend que « le Tasse », dont « l’état chancelant » la préoccupait[2], est enfin sorti de prison. Et sa joie, une joie toujours inquiète, d’ailleurs, s’exhale dans ces lignes à Gergerès :

Votre cœur ne vient-il pas de s’ouvrir à une grande joie ? Le passé laisse-t-il place à une émotion pure, Gergerès, et la liberté enfin, n’est-ce pas toujours la liberté ? Après cette noble victime de tous les dévouements, après le salut de mon âme à la veille saisissante de sa délivrance, c’est à vous que j’ai pensé et c’est à vous que j’écris, afin que ce peu de lignes, en ces troubles de bonheur amer, rencontrent vos yeux humides, j’en suis sûre, du même attendrissement. Je ne doute pas de cette nouvelle. Ce serait trop affreux[3].

La correspondance de Marceline et de Gergerès s’arrête au 9 décembre 1852. Mme Desbordes-Valmore mourut le 23 juillet 1859. L’année même de sa mort, un Bordelais d’adoption, Charles Monselet, disait d’elle dans sa Lorgnette littéraire :

Mme Desbordes-Valmore a joué pendant quelque temps la comédie en province ; elle y était insuffisante. Le rôle de muse lui convient mieux. Elle n’a pas de rivale pour faire parler l’enfance, et ses vers naissent vraiment du cœur[4].

Ce jugement, qui trop longtemps a fait loi, est franchement insuffisant et injuste. Marceline n’a pas été seulement l’auteur des pièces enfantines reproduites dans toutes les anthologies. En dépit de ses inégalités, des imperfections de sa forme, elle est un grand poète, parce qu’elle eut, à un degré exceptionnel, la sincérité, qui est l’âme du lyrisme. Deux thèmes, l’amour et la douleur, ont fait résonner son

  1. Lettres inédites, p. 58 (fin décembre 1835).
  2. Ibid., p. 60 (1er juillet 1836).
  3. Ibid., p. 61.
  4. Cité par L. Descaves, p. 210.