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MADAME DESBORDES-VALMORE À BORDEAUX

lu devant elle quelques pièces parfaites de grâce et de sensibilité[1]. »

C’est à la suite de cette visite que Marceline connut l’infortune de Peyronnet. Trois mois après, elle lisait une notice que Gergerès avait consacrée au prisonnier de Ham et qui lui « ouvrait le cœur » :

J’ai pleuré !… J’ai trouvé, de lui, un article charmant dans un journal d’éducation : mais je ne peux ranger (sic) mes larmes sur un malheur si grave et si profond. Il aurait de grandes élégies autour de sa prison, si les âmes stupéfaites de sa destinée pouvaient se lire et se voir. Moi qui peux souffrir et soupirer sur les boulevards, je n’ose plus me croire à plaindre quand je regarde une prison. C’est ce que je n’ai jamais compris ; mon cœur et ma tête éclatent quand j’y pense longtemps, et, hier encore, j’ai vu la tête du Tasse[2]

Cette comparaison de Peyronnet et du Tasse, c’est Gergerès qui l’avait suggérée à Marceline au cours de sa visite à Ham, il avait remarqué dans la cellule de son ami une « écritoire, ronde de support et garnie de cinq petits vases de cuivre pour l’encre, le sable, etc. » C’était, paraît-il, l’encrier du Tasse ; volé en Italie par un soldat français, il avait été remis à M. Delpire, officier de la garde impériale, puis commandant du château de Ham, qui en avait fait cadeau à son prisonnier[3]. De plus, Gergerès avait fait lire à Peyronnet des vers de Mme Desbordes-Valmore, sans doute des pièces des Pleurs, qu’elle venait de lui donner. Peyronnet écrivit à Marceline, qui en informa aussitôt Gergerès :

En envoyant à votre illustre prisonnier les tristesses de mon cœur, vous ne saurez peut-être pas que vous m’avez fait éprouver une émotion terrible de surprise et d’attendrissement. J’ai reçu un élan de l’âme de M. de Peyronnet. Je vous assure, Gergerès, que j’ai senti son âme près de moi dans des vers, des lignes et des mots dont l’impression sur mon âme est aussi ineffaçable que son malheur. Le malheur est donc sublime[4].

Peyronnet lui disait :

C’est à toi de pleurer, c’est à moi de souffrir.
Pleure et tes pleurs sacrés allègeront mes chaînes…
Et pendant que je lutte avec le malheur, toi,
Toi, Sapho, toi, Tyrtée, anime et soutiens-moi !

  1. J. Fraikin, Voyage d’un légitimiste bordelais à Paris et à Ham en 1833 (Revue historique de Bordeaux, 1914, p. 384-385).
  2. Lettres inédites, p. 51 (4 décembre 1833).
  3. J. Fraikin, loc, cit., p. 389.
  4. Lettres inédites, p. 52 (23 décembre 1833).