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MADAME DESBORDES-VALMORE À BORDEAUX

Le même lien [la reconnaissance] m’attache au souvenir de M. et Mme Géraud. Voulez-vous bien leur dire, Gergerès, que je suis avare de tous ces fils qui me lient par le cœur[1] ?

Aussi, lorsqu’elle apprit la mort du poète, survenue le 21 mai 1831, elle partagea la douleur de Gergerès et le deuil de sa veuve :

L’événement qui vous frappe, bon Gergerès, dans votre plus intime amitié, m’a troublée de surprise et de douleur. Tous vos souvenirs se sont réveillés en moi, comme si je vous voyais vous-même : et vos larmes, votre pâleur, ce triste silence qui suit la perte irréparable de ce qu’on aime, tout m’est entré dans l’âme avec le regret personnel que j’éprouve de ne plus chérir dans M. Géraud qu’un ami pour toujours absent. Je vous assure que le serrement de cœur que j’en éprouve me rapproche bien tristement, depuis cette triste nouvelle, de vous, Gergerès, que je sens bien malheureux, et de la charmante femme qu’il avait tant de peine à quitter. Comme elle reste à plaindre ! pauvre petite mère d’Élodie ! Personne ne la regarde, dans le présent et dans l’avenir, avec plus d’attendrissement que moi, croyez-le. J’ai déjà connu tant de chagrins que je les devine tous. Aussi, je ne consolerais pas Mme Géraud, mais je l’entendrais, si j’étais auprès d’elle.

Je ne pourrais pas, dans ce moment, mettre assez d’ordre dans mes idées pour vous envoyer rien qui fût digne d’être jeté sur la tombe d’un poète. J’aimais M. Géraud pour quelque chose de pareil qui se trouvait dans nos âmes, une mélancolie qu’il cachait mieux que moi, et une ardeur vraie et profonde qui brûlait, qui charmait ou qui consolait sa vie, et je crois le voir devant moi qui me dit : « Oui, vous ne vous trompez pas ! » Mais il me le dit avec le calme du ciel à présent, et nous sommes tous, cher ami, plus troublés, plus malheureux que lui. Quel dommage de s’en aller ainsi un à un ! Que je plains surtout sa femme, elle qui était aimée !

Vous aurez plus tard l’hommage bien dur de mes regrets. Il s’y mêlera toujours un doux sentiment, celui de la reconnaissance, car il m’a conduite et menée lui-même à Belle-Allée, moi, pauvre étragère. Croyez bien aussi que le souvenir de Bordeaux m’est ineffaçable[2].

Cet hommage que Gergerès sollicitait, Marceline le lui envoya sous forme d’une élégie Aux mânes d’Edmond Géraud, qui n’est pas, il faut l’avouer, une de ses meilleures pièces. Elle a été publiée en 1833 dans le recueil intitulé Les Pleurs. M. de Bordes de Fortage possède la

  1. Lettres inédites, p. 38 (12 septembre 1829).
  2. Ibid., p. 43-44.