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VIII

Ce n’est aussi qu’avec un doigté intelligent qu'on peut lier parfaitement toutes les notes qui doivent être liées dans un trait bien chanté, et imiter les accens de la voix ; mais pour arriver à ce but on doit faire usage de toutes ses ressources, c’est pourquoi nous faisons toujours employer les cinq doigts de chaque main, contrairement à l’ancienne méthode qui laissait presque toujours le cinquième et souvent le quatrième oisifs.

Nous indiquerons comme moyens de conserver une main bien placée et un bon doigté l’attention de ne jouer, jusqu’à ce qu'on soit parvenu à une certaine habileté, que de la musique parfaitement sous les doigts, et bien écrite pour l’instrument. Celle de Clémenti et de Cramer a particulièrement ce mérite. Haydn, Mozart et Beethoven, qui offrent d’ailleurs une foule de beautés supérieures, ne pourraient être étudiés et travaillés par un élève, sans que la position de la main n’en fut tout-à-fait dérangée. La nécessité de recourir à des doigtés bizarres pour exécuter sur le piano des traits qui ne sont pas conçus pour le Piano, nuirait infailliblement à la qualité du tact, à la souplesse de la main et à l'égalité des doigts. Il en est ainsi de la tenue de la partition qui obligeant à faire s’il se peut toutes les parties d’un orchestre, exige des doigtés absolument vicieux, des renversemens qui déplacent la main à chaque instant et la rendent pour jamais inhabile à la belle manière de jouer. L’étude d’Handel, lorsque l'élève pourra l’entreprendre, est celle de toutes qui la lui fera le plus surement acquérir, mais jusqu’à ce que l’élève ait triomphé des premières difficultés et pris possession du clavier, il doit se borner aux exercices préliminaires du premier volume de cet ouvrage. Il ne doit commencer les études faciles du second volume que lorsqu’il jouera régulièrement les sept premières suites de la première partie. Trois heures d’étude par jour, divisées en deux séances, suffiront à un enfant de sept ans pour le faire parvenir à ce point dans le cours d’une année.

Nous conseillerons de ne pas chercher à développer trop tôt dans les enfans le germe de l’expression : il faut avoir l’age des passions pour les exprimer. La singerie du sentiment est ridicule et choquante ; elle peut d’ailleurs donner par la suite un gout faux et exagéré, elle peut nuire au développement d’une expression véritable, et même d’une exécution régulière. On laissera donc l'élève s’occuper uniquement, jusqu’à son adolescence, du mécanisme de son jeu et des diverses nuances indiquées dans la musique qui sera l’objet de son travail journalier.

Quant à l’élève deja habile avant de connaître cet ouvrage, s’il veut réformer quelque vice dans la position de sa main, et parvenir à plus de souplesse et d'égalité dans les mouvemens des doigts, ou à une meilleure qualité de tact, il fera bien de travailler assidument une partie des exercices préliminaires, mais il sentira qu'il ne lui suffit pas d'étudier le mécanisme de l’instrument : l’observation, les comparaisons, les méditations solitaires sur son art peuvent lui rendre utile même le repos.