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IV

Quant à celui qui par état ou par goût veut faire une étude approfondie du Piano, s’il sent en lui le germe du talent, qu’il ôse entrer dans la voie que nous lui traçons et y marcher avec courage ; il ne sera pas longtems sans éprouver combien elle est fertile en développemens d’un beau style, d’une élégance appropriée à tous les genres, et d’une grande et noble expression. Son succès est prouvé par l’expérience : nous pouvons assurer avoir entendu phraser et chanter avec tout l’art qui distingue les habiles chanteurs Italiens.

Tout ce que nous avons à faire observer sur le mécanisme de l’instrument est contenu dans les observations qui précèdent chaque suite élémentaire du premier volume, et chaque étude des deux volumes suivants.

Il resterait beaucoup de choses à dire sur la musique instrumentale en général, et sur les riches innovations que deux hommes de génie, haydn et mozart y ont introduites, mais dont leurs imitateurs ont abusé. Privés de ce feu créateur qui donne de la vie à tout, ils ont produit une musique sans variété, sans expression et sans effets. C’est bien plutôt avec des masses qu’avec des détails qu’on obtient la diversité. Souvent de l’excès de la variété nait la monotonie, car l’abus des grands moyens harmoniques placés sans choix, produit l’uniformité : des effets toujours semblables fatiguent l’oreille, tourmentent l’âme, et laissent l’esprit dans une incertitude pénible, faute de masses distinctes aux quelles il puisse s’attacher. C’est ce que fait éprouver la diversité sans goût que l’on remarque dans les ornemens gothiques ; il en est de même en musique. Les grands artistes en tous genres savent bien que le moyen de plaire, de frapper, d’émouvoir n’est souvent que l’art de bien choisir les sacrifices à faire à l’effet dramatique.

L’élève pour ne pas gâter son goût se gardera donc d’étudier indistinctement toute espèce de musique : celle d’handel est la plus propre à perfectionner et à former l’oreille aux combinaisons de la science musicale ; celle de clementi, de cramer, de dussek offre aussi ces avantages et fournit au goût d’excellens modèles.

Nous pensons qu’un élève guidé par ce cours et dirigé, à défaut de maîtres, par des parents qui ne soient pas tout à fait étrangers à la musique, peut avoir acquis à dis huit ans toute l’exécution mécanique à laquelle il doit atteindre ; mais ce bel aplomb qui n’exclut pas l’abandon du sentiment et de la grace, la chaleur sans emportement, l’énergie sans dureté, la vitesse sans précipitation, mais la noblesse du style, l’élégance sans manière, l’art de bien phraser, un tour de chant toujours pur, un bon goût d’ornemens et surtout la profondeur et la justesse de l’expression ; voilà les qualités qu’on ne saurait avoir dans l’adolescence. Plusieurs sont le fruit de l’expérience et de la réflexion ; il en est que la nature dispense, mais elle est rarement assez libérale, pour que de la réunion de ses dons naisse un talent original et créateur, qui sache s’ouvrir une nouvelle carrière et reculer les bornes de l’art.