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III

l’élève qui commencerait par les éléments contenus dans le premier volume de cet ouvrage, y trouverait l’avantage de débuter dans la carrière, et de la parcourir tout entière, d’après des principes en harmonie avec les résultats qu’on a tâché d’obtenir. Il sentira même bientôt, comme plusieurs exécutants l’ont éprouvé, que l’habitude de style et d’expression puisée dans cette méthode se portera non seulement sur la musique touchante et pathétique, mais encore dans toute partie de la musique vive et brillante qui offrira quelques chants à rendre ou quelques sentiments à exprimer. Nous sommes fondés à croire qu’après une étude suivie de nos principes, il lui sera aussi difficile de s’en écarter, qu’il le serait à un élève d’une autre école d’y atteindre. Ajoutez à ces bases un phrasé distinct et accentué, qui soit toujours noble, élégant et large, un respect habituel pour la mesure qui fasse éviter l’alternative de trop brillanter l’instrument dans la musique vive, et de l’appesantir dans les morceaux lents, et vous aurez rendu le Piano à sa véritable destination, car son but, comme celui du chant proprement dit, est d’exprimer les diverses émotions de l’âme.

L’habitude prise de soutenir les sons pour l’imitation du chant, procure encore un avantage bien remarquable : elle augmente le volume du son, en même tems qu’elle en améliore la qualité. Un élève bien organisé s’accoutumera de lui même à soutenir à la fois après qu’elles auront été touchées, même dans les traits rapides, toutes les notes qui forment ensemble une harmonie régulière. De la réunion de toutes ces vibrations résulte une richesse de son qui fait plus que quadrupler les moyens naturels du Piano : nous nous sommes plus étendus sur ce sujet dans l’article doigté de l’avertissement qui suit.

Le jeune pianiste qui voudra perfectionner l’art du chant, devra se choisir un modèle parmi les grands chanteurs de l’école d’Italie, le suivre pas à pas, réfléchir sur ses moyens pour juger les cas où il peuvent s’appliquer exactement au mécanisme du Piano, et ceux où pour produire des effets semblables, il faut employer des moyens contraires. Les grands artistes dans les arts du dessin savent tous quels heureux résultats l’on peut obtenir de ces déceptions calculées qui altèrent les proportions et les formes des objets, dans la vue de les faire paraître ce qu’ils doivent être. Pourquoi dans le bel art de la musique renoncer aux illusions dont le génie a su agrandir les autres arts ? Pourquoi se borner à faire dire pauvrement au Piano le peu que son mécanisme semble lui permettre de dire, sans chercher à l’initier dans les secrets de l’art par des illusions qui lui soient propres, et à étendre pour lui le domaine de l’expression et des effets dramatiques ?

Nous prévoyons que ces principes pourront être taxés de singularité, peut-être même l’application en sera-t-elle regardée comme impossible par des élèves qui ne seront pas en état de les sentir et d’en tirer parti : ceux-là devront rester dans la route ordinaire. Notre but en publiant cet ouvrage, est de procurer à quelques jeunes artistes qui n’ont pas les moyens d’obtenir de bonnes lecons, une existance honorable, en les aidant à sortir de la route si facile et si défectueuse de ce qu’on nomme aujourd’hui talent d’exécution.