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II

chanteur est obligé de respirer. La main, avant de se déplacer dans sa nouvelle position, laissera écouler le même espace de tems, et pour cette nouvelle épreuve, la voix de l’élève sera encore son modèle : alors l’imitation deviendra beaucoup plus frappante.

Ce n’est pas tout : quoique le Piano ne puisse rendre tous les accents de la voix, il en est cependant un grand nombre qu’un artiste habile peut parvenir à imiter. Tantôt il presse fortement la note après qu’elle a été touchée afin d’en prolonger la vibration, ne la frappant que dans des cas très rares. Tantôt il lie entre elles des notes seulement effleurées, comme font les grands chanteurs dans des traits jettés. D’autres fois les notes sont pesamment appuyées, et liées le plus possible. Ailleurs, la touche est vivement attaquée, et le son pour ainsi dire, saccadé. À ces moyens se joignent les forte, les piano, les crescendo, les mezza voce &c. et enfin toute la variété qu’on peut mettre dans les effets par des notes alternativement coulées ou détachées. Telles sont les ressources mécaniques qu’offre le Piano pour remplacer les accents et les nuances de la voix ; il en est d’autres qui tiennent au goût, à la sensibilité, et à une connaissance approfondie des défauts inhérents à l’instrument qu’on veut faire parler.

Le Piano est verbeux de sa nature. Son mécanisme qui rend l’exécution presque facile, en amène souvent l’abus ; le prix qu’on attache en général à ce qu’elle offre de plus brillant, peut égarer l’artiste. Il ne faut pas faire pour un seul instrument un art à part, un art en dehors de l’art, qui enfreindrait capricieusement les loix du bon goût consacrées par les grands artistes, qui serait impuissant à rendre les émotions de l’âme, et blesserait ainsi ce qu’on peut appeler le bon sens en musique ; car le bon sens consiste à ne pas confondre les expression, les genres et les styles divers.

Il nous reste à parler des appogiatures ou ornemens qu’on introduit dans un chant pour en augmenter l’effet, et surtout pour remplir dans des morceaux très lents la lacune produite par la brièveté du son de l’instrument. Ces appogiatures doivent toujours participer du caractère de la musique à laquelle on les joint ; nous en avons développé les principes dans le préambule de la 17me suite du premier volume de cet ouvrage. Elles doivent être subordonnées à l’emploi de tous les moyens que nous venons d’indiquer : ils sont assez nombreux et assez variés pour que l’élève en les récapitulant, n’accuse de stérilité ni son instrument ni son art, et pour que la vue de l’abondance de ses richesses, lui donne l’ardeur de travail avec laquelle il les fera valoir. Sans doute une aussi grande complication de recherches, d’observations, et de détails pour produire des effets larges et naturels pourra paraître une tâche impossible à l’élève déjà parvenu à un certain degré de talent. Nous ne dissimulons pas que l’illusion nécessaire pour obtenir du Piano l’effet des sons prolongés ne soit une conquête à laquelle doivent renoncer les artistes dont les études élémentaires et le jeu mécanique seraient en opposition trop forte avec les moyens indiqués pour arriver à ce but ; car il faut pour qu’il y ait unité dans le jeu, que les mêmes principes qui conduisent à porter cette illusion dans les morceaux d’expression, dirigent aussi l’exécution de la musique brillante : ainsi donc,