Page:Cours complet, Hélène de Montgeroult, partie 1.pdf/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

préface.

Les nombreuses observations que nous avons faites sur le mode actuel d’enseignement du Piano, et sur le genre d’exécution qui en résulte, nous ont démontré que ce mode était vicieux. Nous avons pensé qu'il n'était pas impossible d’ouvrir à l’art une nouvelle route, et de le ramener à des principes plus vrais. Si la voix ou si les instrumens à archet suivaient la méthode qui dirige ordinairement l’exécution des chants sur le piano, il est incontestable que l’effet en serait très choquant : l’art de bien chanter est le même à quelque instrument qu’on l’applique ; il ne doit pas faire de concessions et de sacrifices au mécanisme particulier de son interprête ; c’est donc cet interprête qui doit plier son mécanisme aux colonnes de l’art. Mais comment y parvenir sur un instrument dont les moyens sont si bornés ? Comment imiter ces sons harmonieux qui furent le principe et le but de la musique, comment rendre ces accents, ces nuances innombrables si nécessaires à l’expression sur un clavier qui ne peut soutenir les sons et qui a tout dit quand la note a résonné ? ici l’illusion doit venir au secours de la réalité. Comme le Piano ne peut imiter le bel art du chant dans ce qu’il a de plus parfait, c’est-à-dire dans la faculté de prolonger les sons, il faut s’emparer d'une des imperfections qui lui sont propres, ce qui sera déjà une première imitation, de telle sorte, que cette imperfection même, adaptée au Piano, fasse prendre le change à l’oreille, et que secondée d’ailleurs par quelques moyens auxiliaires, elle concoure de fait à produire l’illusion du chant dans ce qu’il a de plus expressif : il est nécessaire d’entrer dans quelques détails pour nous faire comprendre.

La seule imperfection qui existe réellement dans l’art du chant, est la nécessité de couper les phrases par la respiration : elle est un des plus grands écueils des chanteurs médiocres ; mais dans la bonne école d’Italie, elle est soumise à une méthode si précise, que presque tous les chanteurs quelles que soient la puissance et l’élasticité de leurs poumons, respirent aux mêmes intervalles dans la phrase musicale. La respiration prend un tems plus ou moins long dans chaque mesure, cependant l’orchestre exact dans sa marche suit rigoureusement la mesure ; mais le chanteur développe librement le cours de la phrase, et ce n’est qu’à la fin, qu’il doit se retrouver en mesure avec l’orchestre.

En appliquant ce procédé au Piano, on trouvera que la main droite qui joue la partie du chant, peut-être comparée au chanteur et la main gauche à l’orchestre qui accompagne. Si l’élève a quelques notions de la manière dont on doit chanter, il peut être à lui même son modèle pour ses premiers essais : il tâchera d’imiter avec la main droite pendant quelques mesures les accents qu’il tirera de son gosier, en même tems qu’il fera un accompagnement d’accords plaqués avec la main gauche ; mais pour que cette imitation soit fidèle, il est nécessaire de chanter le doigté convenu pour chaque trait, de manière que la main se déplace entièrement après chaque note sur laquelle un chanteur eut pris sa respiration. Ce seul travail, assez difficile, produira d’abord une imitation très sensible : pour la completter, il faudra simuler et s’emparer encore de l’imperfection résultant des intervalles de tems perdu dans chaque mesure où le