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LES DEUX CROISIÈRES

des joues, sur le menton aigu poussait une barbe rare, rousse, toujours souillée de saumure et de jus de cavendish. Les prunelles gonflées s’élançaient hors des orbites et semblaient sans regards.

Tout le jour, il errait sur le pont, serrant contre sa poitrine un harmonica au soufflet tendu mais muet.

C’était un dément silencieux, contemplatif. Il ne parlait à personne, sinon parfois au docteur qui le réchauffait dans sa cabine d’un coup de gin. Quant aux émigrants, il leur inspirait une vague inquiétude, ce qui le débarrassait de leur familiarité et même de leur raillerie.

Pendant le jour, il ne jouait jamais de son instrument : il semblait composer en dedans, s’inspirait de la mer et du ciel. Mais le soir venu, aux premières grisailles du crépuscule, il allait s’asseoir, fatigué d’errer, sur des cordages, et, dans la flâne de l’équipage, quand le joli pétillement des mousses de l’hélice se