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LES DEUX CROISIÈRES
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Je boucle mes courroies et jette un plaid sur mon épaule. Je descends.

Sur le perron tout enguirlandé de glycines fleuries, deux chiens noirs, Mouk et Nick, bondissent au-devant de moi. Je les caresse, tandis que d’un regard furtif j’interroge les fenêtres de la maison.

Mais nul rideau ne bouge. Personne pour faire un signe d’adieu à l’enfant exalté et téméraire, au méchant fils. — Eh tant pis, qu’il s’en aille !

— Cocher, gare du Nord !

Et déjà bien loin la petite porte du jardin claque toujours dans mes oreilles…

À Anvers, le ciel creva : de grosses gouttes chaudes s’écrasaient sur les trottoirs.

Je sautai dans un vieux carrosse qui me transporta au quai du Rhin où le steamer était amarré.

Un grand soleil luisait maintenant, se mirait dans les flaques.

Le Portland oscillait doucement sous le petit flot du fleuve et chauffait ferme.

Sur le quai et sur le pont du bateau tout un peuple de chargeurs s’agitaient fébrilement. J’entendais les coups de gueule lancés en mesure, pour concentrer toute une somme d’efforts sur la balle à soulever, et c’était de perçants appels, des jurons qui dominaient un moment le tapage des brouettes de fonte, les engrenages renâclants et le furieux bruit de vapeur fusant par les joints.

Presque sans arrêt la grue décrivait sa course du pont au quai et du quai au pont, et son grand bras semblait battre une lente et majestueuse mesure à l’orchestre barbare.

Des ballots cerclés de fer, des caisses s’enlevaient du sol comme des bottes de paille, tournoyaient au-dessus de la cale. Des bras arrêtaient leur élan, et les colis plongeaient dans le gouffre. Bientôt la chaîne reparaissait sautelante et libre — un temps de silence — un coup de sifflet, — et les engrenages remâchaient avec rage. Une autre charge !

Le steamer levait l’ancre à midi. Une centaine d’émigrants étaient déjà rassemblés sous les hangars. Des femmes s’enveloppaient frileusement dans de petits châles aux couleurs déteintes, d’un effet très doux.

Tous ces misérables, serrés les uns contre les autres, regardent en silence, cette activité dévorante déployée à l’approche du départ. Seuls, des mioches, aux cheveux encore tout collés de pluie, jouent à cache-cache derrière des paniers de vin de Champagne.

L’attristant tableau…

Mais je ne peux m’attarder ; il faut me rendre au commissariat maritime pour signer mon engagement.

Je me dispose à abandonner le quai quand, à travers la mâture du steamer, j’aperçois un mousse, juché sur la vergue du cacatois. Retenu par une jambe, il se penche dans le vide et, la main à l’oreille, écoute des ordres, des jurons, qu’un matelot lui crie du bord.

En ce moment, le ciel roule de nouveaux blocs couleur d’encre… Une angoisse affreuse m’étreint le cœur et je