Page:Courouble - Le roman d'Hippolyte (La famille Kaekebroeck), 1927.djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
LE ROMAN D’HIPPOLYTE

Et puis elle le sentait cultivé comme elle, nourri de la moelle classique avec des sensations d’art qui leur étaient communes. Rien ne l’avait plus égayée que d’apprendre qu’il l’avait prise pour une étudiante échappée d’un roman russe.

— Oui, avait-il avoué, il me semblait que tu devais t’appeler Sonia, par exemple, que tu étais affiliée à quelque société secrète…

— Sonia l’espionne ! s’exclamait-elle gaîment. Ah le beau film !

Oh non ! Elle ne prétendait pas à tant d’originalité. Sa vie ne redoutait point le regard du grand jour. Elle s’appelait Hania Harnowska. Elle était Polonaise, née d’une union libre. Son père, qui appartenait à la diplomatie, était mort à Paris, il y a une vingtaine d’années, sans avoir eu le temps de régulariser une liaison qui avait du reste toute la dignité du mariage. Devenue veuve, sa mère avait tenu à demeurer en France, sans qu’elle eût jamais éprouvé le désir de retourner dans une patrie où sa famille et ses relations la considéraient comme une sorte de déclassée.

Là-bas, au fond d’un quartier de la rive gauche, les deux femmes vivaient loin du monde, dans une médiocrité aisée, avec une vieille compatriote qui tenait leur ménage. Entraînée par son goût pour l’étude, la jeune fille avait d’abord fréquenté les cours d’un lycée ; puis, ayant obtenu sa licence en philosophie, elle s’était inscrite à la Faculté de droit par dilettantisme. Mais la cherté de l’existence, des revers de fortune, les